L’initiative peut surprendre mais pour les deux protagonistes elle a sa logique au vu des deux dernières années tumultueuses qu’a vécues l’Appellation d’Origine contrôlée (AOC) Ossau-Iraty. En effet, les syndicats agricoles ELBet FDSEA, plus souvent ennemis qu’amis, ont décidé de faire cause commune aux prochaines élections devant désigner les représentants des producteurs de lait de brebis aux instances dirigeantes de l’AOC. Une liste unique sera présentée aux adhérents dès lundi, date de la première assemblée de section à Itxassou (lire ci-dessous). Il en sera de même à Ispoure pour le secteur de Garazi-Baigorri et à Larceveau pour Amikuze-Iholdi. En Soule aussi, il n’y aura qu’une liste mais c’était déjà le cas en 2005 alors que ELBet FDSEA en décousaient durement sur les autres territoires (lire ci-contre).

"Nous aurions pu à nouveau gagner la majorité mais je crois qu’il ne faut pas de conflit autour de l’AOC. Les deux syndicats doivent s’entendre comme ce fut le cas l’an dernier. Nous n’en serons que plus forts devant les éleveurs", explique Patrick Etchegaray, actuel président de l’Ossau Iraty et tête de liste de Denentzat en 2005. Il estime que l’accord est "avantageux pour l’appellation et pour toute la filière".

Même discours à ELB. "Vu l’accord que nous avons passé l’an dernier, ce nouveau pas est dans la suite logique des choses à l’heure où va débuter l’application du cahier des charges sur lequel les deux parties se sont mises d’accord", indique également Michel Oçafrain, responsable de la section ovine d’ELB.

Lui aussi estime qu’ELB aurait pu l’emporter cette fois et qu’il ne s’agit en aucun cas d’éviter de subir une seconde défaite, la première s’étant jouée à quelques voix seulement. "Il y a aussi le risque, si l’on gagne, que les éleveurs de la FDSEA ne suivent pas. La liste unique est une façon de tirer l’AOC vers le haut les deux syndicats en même temps", ajoute Michel Oçafrain.

La décision de faire croisade ensemble a-t-elle été facile à prendre dans les deux camps ? "Dans chaque syndicat, il y avait des gens opposés à cela. Pour moi c’est une décision logique. On s’est rendu compte lors de nos réunions que lorsque l’on parle seulement de l’Ossau Iraty, on est toujours d’accord", a affirmé Patrick Etchegaray. Quant à la base, "croyez-vous qu’elle aurait compris que nous allions aux élections chacun de notre côté après l’accord de l’an dernier?" interroge le président.

Vers une hausse du prix du lait

"Il s’agit d’abord de garantir un accompagnement efficace des éleveurs face à l’application des nouvelles mesures du cahier des charges. Nous voulons aussi aboutir à une hausse du prix du lait d’au moins 5% dans les plus brefs délais", explique Michel Oçafrain. "Jusqu’à aujourd’hui, les laiteries sont les seules à avoir profité du bon développement de l’AOC. Il est temps que nous en bénéficions aussi", poursuit l’éleveur de Banca. Pour lui, la réaction de l’industrie laitière face à cette requête des producteurs réunis "montrera si les laiteries veulent vraiment une AOC forte qui profite aussi aux producteurs ou si elles ne s’en servent que pour l’image".

Une meilleure rémunération du lait est aussi une priorité pour Patrick Etchegaray. "De nouvelles exigences vont s’appliquer aux éleveurs. Il faudra des compensations sinon beaucoup ne voudront pas continuer", estime-t-il.

ELB et FDSEA se sont mis d’accord pour que chacun ait un nombre de sièges équivalent au conseil d’administration. La présidence ne se jouera pas entre eux puisque c’est au tour des producteurs de fromages fermiers de l’assurer.

Ouverture des urnes lundi à Itxassou
Les membres du conseil d’administration de l’AOC Ossau Iraty sont issus des trois familles qui composent le Syndicat. Les 1800 producteurs de lait élisent leurs représentants par secteur géographique. L’assemblée des éleveurs de la côte aura lieu lundi prochain à 20h à la salle Sanoki d’Itxassou. Le secteur de Baigorri-Garazi a rendez-vous mardi à 20h à la coopérative d’Ispoure. Les Souletins seront mercredi à 20h à la salle Etxahun de Tardets tandis que les producteurs de lait d’Amikuze-Iholdi se réuniront le lendemain à 20h à Larceveau. Quarante délégués ou porteurs de voix seront ainsi élus. Ils désigneront le jour de l’assemblée générale leurs huit représentants au conseil d’administration du Syndicat de l’AOC. De leur côté, les producteurs de fromages fermiers tiendront leur assemblée vendredi 28 à 14h30 au centre multiservices de Mauléon. Vingt et un délégués y seront désignés desquels trois siégeront au conseil d’administration. Comme à l’habitude, les entreprises de transformation et affinage désigneront leurs huit représentants le matin de l’assemblée générale qui est prévue le 30 octobre.

Les trois familles occupent la présidence de façon tournante. C’est au tour d’un producteur fermier de succéder à Patrick Etchegaray, actuel président et représentant des producteurs laitiers.

Deux années pleines de rebondissements
Les précédentes échéances électorales, en 2005, ont été un tournant dans l’histoire de l’AOC Ossau Iraty. ELB qui avait été le moteur de l’appellation de tout temps perdait la majorité des sièges chez les représentants des producteurs laitiers face à la liste Denentzat, soutenue par la FDSEA. Cette dernière reprochait à ELB d’aller trop vite dans le renforcement du cahier des charges. Elle lui reprochait notamment la décision d’interdire l’utilisation de mélanges d’aliments appelés "rations complètes" et de limiter celle de l’ensilage de maïs avant une future interdiction à l’horizon 2015. Ces deux mesures risquant selon Denentzat d’écarter trop d’éleveurs sans alternative de l’appellation. Le conseil d’administration de l’époque estimait lui que ces évolutions étaient "indispensables pour que l’AOC se démarque des productions de masse et garantisse une rémunération correcte aux producteurs".

Le renversement de pouvoir s’était produit alors que le décret fixant les nouvelles conditions de production avait été validé par le Comité National des Produits Laitiers et attendait la signature du ministre de l’agriculture. La nouvelle donne a donc conduit à bloquer tout le processus, Paris ne voulant pas autoriser un règlement que les nouveaux dirigeants de l’AOC refusaient.

Ce sont finalement les éleveurs qui ont mis eux-mêmes fin à la crise en signant, en octobre dernier, un compromis inattendu vu l’âpreté de la confrontation précédente. Les deux parties faisaient des concessions sur les mesures les plus polémiques afin de permettre à l’AOC de continuer à fonctionner.