Haute-Soule ; le : Avec Carnaval, voici la période des joyeux pèle-porcs. Il s'agit bien d'un holocauste, mais nul attendrissement déplacé ne l'accompagne. Cette année, le temps se prête à ce travail qui mobilise toute la ferme. Après une longue période de douceur, les gelées sont venues. Nous avons même revu la neige, peu épaisse mais tenace ; cet air vif convient parfaitement aux salaisons. Chaque matin, le village est réveillé par les airs angoissés de quelque cochon gras et rose violemment arraché au doux sommeil. La lutte, inégale, dure peu. En un vague rêve, le goret revit les franches lippées à l'ombre des grands chênes roux ; son ¦il embrasse les pentes vertes à l'herbe si douce ; il revoit la fermière portant dans le chaudron rouge l'abondante pâtée. Mais déjà on l'entraîne. Méfiant, il se débat ; des bras de fer le roulent sur la table épaisse. En un clin d'¦il, en dépit de ses cris perçants on le garrotte. Un éclair : l'acier brille et s'enfonce. Le sang rouge, vigoureux, jaillit par saccades ; la ménagère recueille le précieux liquide qui gicle de toutes parts. Aux soubresauts du puissant animal, les tabliers se maculent. Puis, tout rentre dans le silence. L'eau bouillante, déjà ruisselle sur les flancs de la bête immobile. Sous la lame d'un vieux couteau les poils luisants se rassemblent et la chair appétissante apparaît finement colorée et veinée. Il ne reste, dès lors, qu'à hisser la victime sur l'échelle où elle est suspendue. Tandis que les femmes s'occupent à la confection des boudins, les hommes découpent la chair ferme. On coupe, on hache, on sale, on assaisonne. Et bientôt le travail est achevé ; le temps va parfaire l'¦uvre commencée.