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Le réalisateur Safy Nebbou dévoile les secrets douloureux de l’enfance d’Ingmar Bergman
·Le réalisateur bayonnais, Safy Nebbou, tourne un court métrage au château d’Arcangues avec Elsa Zylberstein
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Le bruit feutré de pas pressés sur les tapis usés, le
grincement des marches de l’escalier. Dans le château d’Arcangues, les
techniciens passent et repassent, les bras chargés. Ils chuchotent,
s’interpellent. À côté des meubles d’époque, du matériel s’empile, il y a tant
de monde dans le manoir, que l’on ne sait plus où se mettre pour ne pas gêner.
Tout au fond à l’étage, une porte entrouverte. Une pièce minuscule
encombrée de fils électriques, de filtres, de projecteurs et d’objectifs. Une
chambre fanée qui sent les vieux livres et les fleurs séchées, l’odeur surannée
du temps passé. Safy Nebbou se tient debout au milieu de la salle, tout près de
la caméra. Le jeune réalisateur bayonnais tourne cette semaine au château
d’Arcangues Lorsque l’enfant paraît, un court métrage qui sera diffusé cet été
sur Arte. Le film évoque l’enfance du réalisateur suédois Ingmar Bergman et
s’inspire de Lanterna magica une autobiographie, publiée en 1987.
“Le
récit commence en août 1926, il fait terriblement chaud, la petite sœur d’Ingmar
vient de naître. Le garçon et son frère aîné Ernest, ont du mal à accepter
l’arrivée de ce nouvel enfant. À leurs yeux, la fillette est une intruse qui
leur vole l’amour de leurs parents. Les deux garçons vont alors chercher à se
débarrasser du nourrisson et Ernest va pousser Ingmar à le tuer” explique Safy
Nebbou. “Pour Bergman, c’est un souvenir terrible. J’ai choisi de placer la
caméra à la hauteur des yeux d’un enfant parce que ce film, c’est d’abord
l’histoire d’un petit garçon qui porte un terrible secret. Un secret qui le
ronge, l’obsède. Il a promis à son frère de tuer le bébé mais ne peut s’y
résoudre. Je pense que beaucoup de gens peuvent se reconnaître dans cette
histoire. L’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur est toujours un moment
difficile dans une fratrie. On a peur d’être moins aimé. Bien sûr, on ne pense
pas forcément à tuer le nouveau-né, mais on a parfois envie de l’évincer”
ajoute-t-il.
Ingmar Bergman, pour Safy Nebbou, c’est un nom qui veut
dire beaucoup. “J’ai toujours admiré cet homme. C’est ma mère qui m’a fait
découvrir son œuvre. Je me souviens de Scène de la vie conjugale ou de son
dernier film Saraband. Ces longs métrages m’ont bouleversé. Je me sens proche de
ces personnages. La religion, la culpabilité, le silence entre les êtres, tous
ces thèmes si chers à Bergman, me touchent profondément. Pour moi, faire un
court métrage sur un cinéaste si brillant c’est un peu délicat, c’est très
intimidant. J’ai décidé de raconter son histoire, à ma manière, sans tenter
d’imiter son style. Sinon j’aurais eu l’impression d’avoir une épée de Damoclès
au dessus de la tête” raconte-t-il en souriant.
Le tournage reprend.
Parmi les acteurs du court métrage, deux enfants d’une dizaine d’années. Ils ont
été choisis par Agathe Hassendorfer, la directrice de casting des Choristes. La
jeune femme, ne les quitte pas. Elle les guide, les conseille, reste à leurs
côtés même lorsque la caméra tourne. “Sa présence est essentielle pour moi.
C’est une sorte de ‘coach’, elle sait parler aux enfants, les mettre en
condition avant les scènes”.
Devant la caméra, un garçon de sept ans est
penché sur un berceau. À l’intérieur une poupée, le vrai bébé est endormi dans
une autre pièce. Le garçonnet joue avec une balle, la fait rouler sur le ventre
du faux nourrisson, le secoue légèrement. Safy Nebbou observe. “Tu as envie de
jouer avec lui, mais tu ne sais pas trop comment t’y prendre, pour toi, ce bébé
c’est un peu comme un chiot” explique-t-il d’une voix posée. “Vas-y montre-moi
(l’enfant s’exécute). Pas mal, mais souris davantage, allez recommence (le petit
refait la scène). Voilà, c’est bien. Maintenant tu te rends compte que tu as
réveillé le bébé, tu sais que tu as fait une bêtise (l’acteur prend un air
inquiet). Tu entends ta mère arriver !” conclut tout à coup le metteur en
scène. Brusquement l’interprète se retourne vers la porte. Il crie : “c’est pas
ma faute”. Safy Nebbou intervient à nouveau “non, concentre-toi, recommence
encore”. Et l’enfant de répéter. Safy Nebbou pense chaque geste, replace chaque
intonation, corrige chaque expression. Il est tour à tour Ernest, Ingmar,
l’enfant délaissé, la mère fatiguée.
Si le réalisateur et la production
ont choisi le château des marquis d’Arcangues, c’est bien sûr pour son décor
mais aussi pour son atmosphère. “L’action se passe en 1926. Cette maison incarne
bien l’esprit de cette époque, quand on marche dans ces couloirs, quand on ouvre
ces portes, on a l’impression de remonter le temps” remarque Laurence Darthos,
productrice du film. “Il y a quelque chose de ‘bergmanien’ dans cet endroit.
Cela vient des boiseries, de la structure des pièces. Ici, nous avions les
moyens de faire référence à l’univers d’Ingmar Bergman, sans tomber dans la
reconstitution poussiéreuse” conclut le réalisateur.
Fragile, dans sa
longue chemise de nuit blanche, Elsa Zylberstein avance dans les couloirs, le
regard ailleurs. Elle semble sur ses gardes comme un animal prêt à fuir au
moindre bruit. Dans ce film, elle interprète la mère de Bergman. Max Renaudin,
l’enfant qui interprète Ingmar passe à côté d’elle. Son visage change. Elle
l’embrasse, le chatouille. L’enfant rit, l’actrice se détend. Elsa Zylberstein
n’a encore jamais joué dans un court métrage. Si elle a rejoint le tournage,
c’est parce que depuis longtemps, elle souhaitait tourner avec Safy Nebbou.
“Faire un court, c’est un peu un pari pour moi. Je n’ai pas l’habitude de ce
genre d’exercice. Il faut être concentré, très vite rentrer dans l’action. Mais
je voulais surtout travailler avec Safy. C’est un cinéaste qui n’a pas peur des
émotions. Il filme avec beaucoup de finesse et raconte des histoires touchantes,
pleines de poésie” confie-t-elle.
Le tournage devrait durer six jours,
c’est beaucoup pour un court métrage de quinze minutes. “Mais nous voulions
faire des œuvres de qualité, dans des décors d’époque. Nous soignons chaque
détail, c’est pour cela que nous sommes si nombreux.” ajoute Laurence Darthos.
Le tournage suit son cours et dans le château, le silence se fait. Safy Nebbou
filme des scènes d’où les dialogues sont presque absents. “Je travaille surtout
l’image. Je veux que dans ce film il y ait quelque chose de presque théâtrale.
Par exemple, j’ai beaucoup travaillé les entrées et les sorties de champs”
raconte-t-il. Lorsque l’enfant paraît est donc un film lent, un film de
silences, de regards, d’émotions.
En haut de l’affiche
Né à Bayonne, Safy Nebbou fait ses débuts avec le Théâtre des Chimères à Biarritz. Tout d’abord comédien, puis metteur en scène de théâtre, il part finalement à Paris et se lance dans le cinéma.Il réalise quatre courts métrages, dont deux en langue basque Lepokoa (2003) et Bertzea (2001). Pour ces deux ¦uvres en euskara, Safy Nebbou obtient plus de trente prix dans de nombreux festivals à travers le monde. Ces deux films sont primés en France, en Espagne, en Grèce, en Slovaquie, en Allemagne, en Italie, en Colombie, à Taïwan, en Russie, au Portugal, en Argentine ou encore au Japon. Les critiques soulignent la façon dont le cinéaste a su capter la beauté des paysages et les réalités de la vie rurale. En 2003 Safy Nebbouréalise son premier long métrage Le cou de la girafe, avec dans les rôles principaux Sandrine Bonnaire, Claude Rich et Darry Cowl. L’histoire d’une petite fille, vivant seule avec sa mère, qui décide un jour de partir à la recherche de sa grand-mère, disparue. "Le succès de ce film m’a permis de travailler avec plus de confort. J’ai commencé à exister dans ce métier." Aujourd’hui, Safy prépare un deuxième long métrage. "Ce sera un thriller que je compte tourner dans les Landes. Depuis Le cou de la girafe, je suis plus serein, mais chaque film est une nouvelle bataille" conclut-il. Dans la famille Nebbou, Safy n’est pas le seul à percer dans le milieu du cinéma. Son frère Medhi est actuellement à l’affiche aux côtés de Mathieu Kassovitz et Eric Bana, dans le dernier film de Steeven Spielberg, Munich. Un thriller politique inspiré de faits réels : la prise en otage puis l’exécution de membres de la délégation israélienne par un commando palestinien lors des Jeux olympiques de 1972.
Souvenirs d’enfance
Dès cet été une série de courts métrages consacrés à l’enfance des grands réalisateurs de cinéma sera diffusée sur Arte. Lorsque l’enfant paraît n’est que l’un d’eux. Il y aura au total six films réalisés par six metteurs en scène différents. Au programme, quelques moments de la vie d’Alfred Hitchcock, Orson Welles, Jacques Tati, Fritz Lang, Jean Renoir et bien sûr Ingmar Bergman.
À l’origine de ce projet, le scénariste Yann Legal. Une collection financée par les productions Tara film et la Région Aquitaine.Les tournages auront donc lieu dans la région, à l’exception de l’¦uvre consacrée à Renoir, tournée en Champagne (là où est né cet auteur).
Le château d’Arcangues devrait servir de décor à trois des six courts métrages. L’actrice et réalisatrice Isild Le Besco y a déjà réalisé le film consacré à Orson Welles, et celui sur l’enfance d’Alfred Hitchcock pourrait prochainement s’y tourner. "Dès que l’on entre dans la maison, on voit cet immense escalier qui n’est pas s’en rappeler Sueurs froides d’Hitchcock. C’est pour cela que nous pensons choisir ce lieu" confie la productrice Laurence Darthos.
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