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Le JPB > Pays Basque 2005-12-24
Elisée Reclus
·Inscrit les Basques dans l´universel

Il est des centenaires plus tapageurs. Celui du décès d’Elisée Reclus (1830-1905) aura été discret. Géographe et révolutionnaire anarchiste, figure scientifique et politique française du XIXe siècle, il est largement méconnu aujourd’hui. Auteur d’une monumentale Nouvelle Géographie Universelle, nous reproduisons des extraits relatifs au Pays Basque qui a droit à plusieurs chapitres. Sociologie, linguistique, histoire, géographie physique,... il croise les approches. Mêlant aussi romantisme, positivisme et évolutionnisme.


Le Pays Basque par la géographie moderne de la fin du XIXe siècle

Dans les environs, Orthez ‹le village béarnais possédait une école tenue par ses parents protestants‹ seul aura accueilli quelques manifestations à l’occasion de la mort du géographe novateur internationalement reconnu alors, et pourtant largement méconnu aujourd'hui. Son engagement anarchiste y est peut-être pour quelque chose. Engagé dans la Commune (il combat dans son armée), il échappe à la déportation en Nouvelle-Calédonie, pas à l’exil. Camarade et ami de Bakounine et Kropotkine, il écrira que "tant que l’iniquité durera, nous, anarchistes-communistes-internationaux, nous resterons en état de révolution permanente". Né à Ste-Foy-la-Grande en 1830, il meurt en Belgique en 1905 avec un engagement révolutionnaire resté intact. En même temps il aura sillonné le monde et écrit un monument d’érudition scientifique avec cette Nouvelle géographie universelle (1876-1894) qui renouvelle le genre. Les descriptions de géographies physiques sont minutieuses. Précises. Et l’écriture superbe.

Les descriptions humaines sont les plus datées, mais les plus amusantes aussi. Elisée Reclus est l’un, si ce n’est le géographe à avoir développé une géographie humaine. À l’ambition de totalité de sa Nouvelle géographie universelle, dans le sillage des encyclopédistes du XVIIIe siècle, s’ajoute la volonté d’appréhender la réalité de façon complète, en y intégrant d’autres dimensions que la description d’une géographie physique. Elisée Reclus s’intéresse aux habitants, aux peuples, à l’économie, à la langue, et empiète même à l’occasion sur les plates-bandes des historiens. Comment chaque dimension peut influencer l’autre. On remarquera qu’après avoir indiqué qu’il n’y avait pas de type physique basque particulier, il s’adonnera à une description sur telle ou telle qualité ‹ah ! l’allure et le maintien des dames d’Azpeitia et d’Azkoiti !.

L’usage du mot race, comme l’ensemble du texte d’ailleurs, est à prendre comme appartenant au vocabulaire des savants occidentaux de l’époque. Comme quelque chose d’admis et ne posant de problème particulier. Il se permet néanmoins, et ce n’est pas le seul à l’époque, quelles que soient les appartenances partisanes, à établir certaines hiérarchies teintées d’ethnocentrisme. C’est notamment le cas dans le domaine de l’organisation politique des Basques, jugée avancée et progressiste hier, qui serait devenue un obstacle aujourd’hui (à la fin du XIXe).

Dans un passage non reproduit ici, il analyse sévèrement le choix des Basques de soutenir Don Carlos à la succession de la couronne d’Espagne contre les plus libéraux ‹les guerres carlistes, dont la seconde semble être en cours lorsqu’il rédige son ouvrage‹ pour défendre leur autonomie. Comme une conservation égoïste de ses droits empêchant l’affranchissement républicain aux autres peuples de l’Espagne. 30 ans plus tard il aurait modifié son jugement. On n’est pas nécessairement progressiste ou conservateur en tout.

Dans le domaine linguistique également. Comme d’autres évolutionnistes du XIXe, il pense qu’avec l’avènement de la société industrielle c’est la fin annoncée des sociétés préindustrielles. Il n’a pas tout à fait tort à propos de la vie et de la mort des langues. La coexistence d’une langue puissante avec une plus faible socialement, se traduit par un affaiblissement de la seconde. Il entrevoit bien les effets de la généralisation de l’instruction en castillan ou en français. Il ne cède en rien, ou rarement, au romantisme. Bien davantage au positivisme. Mais sa prophétie de la disparition prochaine de la langue basque, son déterminisme, avait évacué un peu vite l’attachement des locuteurs à leur langue, et les efforts déployés ‹certes plus tard‹ pour la préserver, la normaliser et la développer. Quelque chose comme la volonté des peuples. Avoir eu tort sur ce point-là n’aurait pas été pour lui déplaire.


(1876 - 1894)

I: L'Europe méridionale (Grèce, Turquie, Roumanie, Serbie, Italie, Espagne et Portugal)

VII Provinces Basques, Navarre et Logroño

«Les provinces Basques et le ci-devant royaume de Navarre ne sont en surface qu’une faible partie, à peine la trentième, du territoire de l’Espagne. Ces contrées ne constituent pas non plus une région géographiquement distincte du reste de la Péninsule: à cheval sur les Pyrénées occidentales, elles appartiennent à la fois au bassin du golf de Gascogne et à celui de l’Ebre; en outre, leurs limites politiques sont bizarrement tracées en lignes sinueuses à travers les vallées et les montagnes; en certains endroits elles sont même compliquées d’enclaves. Néanmoins le pays basque et navarrais doit bien être considéré comme une terre à part dans l’ensemble de l’Espagne. Il est habité dans une grande partie de son étendue par une race distincte, ayant encore gardé son vieil idiome, ses m¦urs, ses coutumes politiques. Historiquement, il a eu un rôle tout spécial, non seulement à cause du caractère de ses habitants, mais aussi en conséquence de sa position sur les frontières de la France, à l'endroit où les monts abaissés permettent les migrations des peuples et le mouvement des armées. D’ailleurs, les populations de la Biscaye et de la Navarre ont pu se suffire à elles-mêmes et développer leurs ressources avec une grande indépendance économique, grâce à la richesse naturelle de leur pays. Par l’ethnologie et l’histoire, ces contrées forment donc un tout distinct, auquel on peut joindre la province de Logroño, appartenant politiquement aux Castilles, mais située sur le versant septentrional du grand plateau, dans le bassin de l’Ebre.

[...]

[ Où sont les falaises d’Orreaga ? ]

L’égalité de température et l’humidité du sol sont aussi très favorables au développement rapide de la végétation arborescente. Sur le versant atlantique, la population, fort nombreuse, profite de ces avantages du climat pour cultiver une grande variété d’arbres fruitiers, surtout des pommiers, dont le cidre, ou zagardua, est une boisson très répandue dans les trois provinces. Dans les vallées pyrénéennes de la Navarre, où les habitants sont encore clair-semés, les forêts ont gardé leur uniformité première; elles n’en sont pas moins belles. Celle d’Iraty, où l’on ne pénètre que par d’âpres défilés et les montagnes escarpées, est l’une des plus grandioses, aussi bien que l’une des plus solitaires de la région qui s’étend au sud des Pyrénées françaises, entre le pic d’Anie et les Aldudes. Plus à l’ouest, les forêts qui avoisinent le val Cárlos (Valcárlos), ou val de Charlemagne, et le fameux col de Roncevaux, ou Roncesvalles, sont peut-être moins grandioses, mais elles sont plus aimables à cause de la variété des paysages, et plus intéressantes à cause des souvenirs de l’histoire et de l’écho des vieilles traditions. Sur la foi des légendes, on se représente volontiers ce passage des monts comme une gorge effroyable entre des rochers à pic, et c’est, au contraire, un vallon doux et tranquille. Le célèbre mont d’Altabiscar, qui s’élève à l’orient, est une longue croupe où les fleurs roses des bruyères se mêlent au jaune doré des genêts et des ajoncs, et la playa de Andrés Zaro, où le grand massacre eut lieu, est une plaine riante dont les eaux murmurent sous l’ombbrage des aunes. Un vieux couvent, entouré de murailles crénelées et flanqué de quelques masures, barre une large route carrossable qui vient de Pampelune, puis au delà, vers la France, un charmant sentier, semblable à l’avenue d’un parc, se glisse à l’ombre des hêtres et s’élève en pente douce vers un col gazonné où se trouve la chapelle rustique d’Ibañeta. Ce paysage gracieux serait le Roncevaux, de sinistre mémoire. On ne voit pas un seul rocher d’où les Basques auraient pu rouler des blocs de pierre sur les envahisseurs francs; on cherche vainement des yeux le précipice au fond duquel Roland fit pour la dernière fois résonner son cor d’ivoire. C’est à leur vaillance et à leur ruse, non pas à l’âpreté des gorges d’Altabiscar, que les montagnards doivent leur triomphe sur les armées de Charlemagne. Sur le versant opposé, dans le val Cárlos proprement dit, le fond de la vallée, aujourd’hui dominé par une belle route, est beaucoup plus étroit et plus difficile à parcourir.

[...]

[ Une Œrace’ basque? ]

Quel est l’ancien peuple dont les traditions célèbrent le courage indomptable et qui de nos jours encore a maintes fois donné des preuves de son héroïsme? Quelle est son origine première? Quelle est sa parenté parmi les autres populations de l’Europe et du monde? Toutes questions auxquelles il est impossible de répondre. Les Basques sont la race mystérieuse par excellence. Ils restent seuls au milieu de la foule des autres hommes. On ne leur connaît point de frères.

Il n’est pas même certain que tous les Euskariens ou Basques appartiennent à une souche commune, car ils ne se ressemblent nullement entre eux. Il n’y a point de type basque. Sans doute la plupart des habitants de la contrée se distinguent par la beauté précise des traits, l’éclat et la fermeté du regard, l’équilibre et la grâce de la personne; mais que de variétés dans la stature, la forme du crâne et des traits! De Basque à Basque, il y a autant de différences qu’entre Espagnols, Français et Italiens. Il en est de grands et de petits, de bruns et de blonds, de dolichocéphales et de brachycéphales, les uns dominant dans tel district, les autres ailleurs. La solution du problème devient de plus en plus difficile, car la race, si elle est vraiment une, ne cesse de perdre par les croisements de son originalité première. Il est probable qu’avant l’ère de l’histoire écrite, des populations d’origine diverse se sont trouvées réunies dans le même pays, soit par des migrations, soit par la conquête, et que la langue des plus civilisés sera devenue peu à peu celle de tous. La vie de chaque peuple abonde en faits de cette espèce.

Si l’on ne tient pas compte des différences et même des contrastes que présentent entre eux les Basques des provinces espagnoles et de la Navarre française, on peut dire que, dans l’ensemble, la plupart des Basques ont le front large, le nez droit et ferme, la bouche et le menton très nettement dessinés, une taille bien proportionnée, des attaches d’une grande finesse. Leur physionomie est d’une extrême mobilité. Les moindres sentiments se révèlent sur leur visage par l’éclair du regard, le jeu des sourcils, le frémissement des lèvres. Les femmes surtout se distinguent par la pureté de leurs traits; on admire leurs grands yeux, leur bouche souriante et fine, la souplesse de leur taille. Même dans les villes et les villages qui servent de lieux de passage aux étrangers, de Bayonne à Vitoria, et où les croisements ont le plus altéré les traits de race, on est frappé de la beauté de la plupart des femmes et de leur élégance naturelle. Dans certains districts reculés la laideur est un véritable phénomène. Deux localités du Guipúzcoa, Azpeytia et Azcoytia, près desquelles se trouve le fameux couvent de Loyola, sont tout particulièrement célèbres à cause de la beauté de leurs habitants, hommes et femmes. On dit qu’il serait difficile d’y trouver une jeune fille qui ne fût pas un modèle parfait.

Mais les Basques n’ont pas seulement la beauté de la forme, ils ont aussi la dignité du maintien. On aime à les voir marcher fièrement, la veste jetée sur l’épaule gauche, la taille serrée par une large ceinture rouge, le béret légèrement incliné sur l’oreille. Quand ils passent à côté du voyageur, ils le saluent avec grâce, mais comme des égaux, sans baisser le regard. Les femmes, presque toujours modestement vêtues de couleurs sombres, ne sont pas moins nobles d’attitude. Elles portent toutes haut la tête, et, quoique marchant très vite, ont un port de déesse. L’habitude qu’elles ont de placer leurs fardeaux sur la tête contribue probablement à leur donner cette fière tournure qui les distingue; l’équilibre parfait qu’elles doivent apprendre à maintenir, pour descendre ou monter les pentes sans que leur cruche risque de tomber, développe dans leurs membres un aplomb naturel, qui se rencontre rarement chez les femmes des contrées voisines. Elles ont surtout les épaules et le cou remarquables par la pureté des lignes, beauté bien rare chez les paysannes accoutumées au dur travail de la terre.

[...]

[ Etendue de la langue basque ]

On ne sait quelle était, après l’époque romaine, l’étendue des territoires occupés par des populations de langue basque, mais il est très probable que cette étendue a peu changé, car, depuis lors, les Euskariens ont presque toujours été leurs propres maîtres, et nulle raison majeure n’a pu les porter à laisser leur langue pour celle de voisins qu’ils tenaient en mépris. Du côté de la France, les limites actuelles des dialectes euskariens sont assez bien connues; du côté de l’Espagne, elles ont été déterminées avec moins de précision. Elles ne correspondent nullement aux frontières des circonscriptions administratives et politiques. Le domaine actuel de la langue basque commence à l’ouest par la vallée du Nervion, au-dessous de Bilbao; sa limite contourne cette ville, qui est devenue presque entièrement espagnole, et traverse au sud le col d’Orduña pour suivre les flancs de la Peña de Gorbea et longer à une certaine hauteur le versant méridional des Pyrénées en laissant en dehors toutes les villes situées dans la plaine de l’Alava. Au-delà de Salvatierra, elle descend pour remonter sur les flancs de la sierra de Andia et rattache au pays basque toute la vallée où court le chemin de fer d’Alsásua à Pampelune; mais cette ville elle-même, l’ancienne Irun des Ibères, n’est euskarienne que par les souvenirs historiques, et, plus à l’est, le basque n’est parlé que dans les hautes vallées de Roncevaux, d’Orbaiceta, d’Ochagavia, de Roncal, tandis qu’au sud les noms seuls des villages, Baigorri, Mendivil, Sansoain, Lazaguria, rappellent l’idiome d’autrefois. Le pic d’Anie, qui, du côté de la France, est la borne des populations de langue basque, l’est également du côté de l’Espagne. Ainsi, des quatre provinces euskariennes, une seulement, le Guipúzcoa, est en entier comprise dans le domaine de l’idiome antique; encore les deux villes d’Irun et de Saint-Sébastien y forment-elles des îlots de langue castillane. Toute la zone méridionale des contrées qui font politiquement partie de la Navarre et des provinces Vascongades, est depuis un temps immémorial envahie par les dialectes latins, et les populations y parlent un castillan mélangé de quelques termes locaux d’origine euskarienne. D’après les affirmations des paysans, que pourtant n’a point encore corroborées un seul document authentique, on aurait encore parlé le basque à Olite et à Puente la Reina, situées à une grande distance au sud de la zone actuelle de langue euskarienne. M. Broca voit dans ce déplacement de langues, dont il importerait d’abord de constater la réalité, une conséquence toute naturelle de la juxtaposition immédiate du basque avec un idiome disposant de la prépotence administrative et de l’influence littéraire, sociale et religieuse. Au sud des Pyrénées, le basque n’est pas de force à lutter contre l’espagnol, tandis qu’au nord des Pyrénées il n’est pas même menacé par le patois béarnais.

D’un côté l’espagnol, de l’autre le français, travaillent à se substituer au basque, non par la conquête violente, mais par un lent travail de désorganisation. Déjà scindée en sept dialectes, modifiée par des mots et des tournures contraires à son génie, la langue des Ibères cherche à s’accommoder de plus en plus à l’esprit des étrangers qui viennent s’établir dans le pays; elle perd sans cesse en originalité et se transforme en patois. Chaque grande route qui pénètre dans le territoire basque fait en même temps une trouée dans la langue elle-même. Chaque progrès, surtout celui de l’instruction, ne peut qu’être fatal aux dialectes euskariens; le demi-million de Basques, désormais enfermé dans un étroit horizon de collines et de montagnes, ne saurait plus compter sur une longue durée pour le langage des aïeux.

[...]

[ Les villes du Pays Basque Sud ]

Bilbao, la plus grande ville des provinces Basques et son port le plus animé, n’est point une ville euskarienne; depuis longtemps livrée au commerce avec les colonies lointaines du Nouveau Monde, elle est le débouché naturel des farines de la Castille, et jadis elle fut le siège du plus haut tribunal de commerce en Espagne. Encore de nos jours, quoique privée des monopoles qui lui avaient été concédés et beaucoup moins bien située pour le commerce que plusieurs autres cités d’Espagne, elle rivalise d’importance pour les échanges avec Valence, Santander et Cádiz; il lui est arrivé, grâce aux mines importantes des environs, d’être le troisième port de la Péninsule par le chiffre des affaires. Tout naturellement elle a vécu d’une autre vie que les populations basques des montagnes environnantes. Elle est devenue tout espagnole, et, pendant les guerres carlistes, elle a été assiégée à plusieurs reprises par les habitants mêmes de sa banlieue. La charmante vallée où elle groupe ses édifices, les montagnes à pente rapide qui l’entourent en demi-cercle, les eaux du Nervion, qui portent ses embarcations au havre de Portugalete et à la mer, ont été souvent rougies de sang. C’est devant les murs de Bilbao que le plus fameux général basque, Zumalacarreguy, reçut en 1835 sa blessure mortelle.

La ville la plus populeuse du Guipúzcoa, Saint-Sébastien, est également espagnole. A la fois port de trafic comme Bilbao et place de guerre avec une garnison castillane, elle s’est assimilée d’aspect et de langue aux villes de l’intérieur de la Péninsule. La roche de la Motta ou du Monte Orgullo, qui la domine au nord et dresse, à 130 mètres au-dessus de la mer, ses escarpements hérissés des tours d’une forteresse, la «conque» d’eau bleue qui s’arrondit à l’ouest de la ville sur une charmante plage où se promènent les baigneurs, la rivière Urumea qui débouche à l’orient de la citadelle et lutte incessamment contre les flots écumeux de la mer, les promenades ombreuses, l’amphithéâtre de collines verdoyantes et semées de villages qui bornent l’horizon du sud, tout ensemble du gracieux paysage fait de Saint-Sébastien l’une des localités les plus aimables, une de celles où vient se presser la population cosmopolite des fatigués et des oisifs. Du reste, la ville même a perdu tout caractère d’originalité; brûlée en 1813 par ses alliés les Anglais, que la jalousie de métier fit s’acharner à la destruction de tous les établissements industriels, elle a été reconstruite avec une monotone régularité. Son port, assez fréquenté par les navires de cabotage, est peu sûr et sans profondeur. Le grand havre de commerce de la contrée devrait être la magnifique baie de Pasages, qui s’ouvre plus à l’est, du côté de la frontière de France. Il est parfaitement abrité, puisque de ses eaux on ne voit même pas la mer, avec laquelle il communique par un étroit goulet facile à défendre. Aux siècles précédents, de grands navires y pénétraient et venaient s’amarrer aux quais du bourg aujourd’hui ruiné de Leso; des chantiers de construction très actifs s’élevaient sur les bords du golf intérieur; mais les alluvions de l’Oyarzun et d’autres ruisseaux, aidées par l’incurie des hommes, ont comblé une partie du bassin et obstrué par une barre périlleuse l’entrée du golfe ; il est probablement à tout jamais perdu pour la grande navigation.

La gracieuse Fontarabie, l’Ondarrabia des Basques, aux maisons blasonnées, est également séparée de la mer par un seuil redouté des navigateurs; elle ne doit sa petite importance actuelle qu’à ses bains de mer et au voisinage de la France, qu’elle regarde du haut de sa terrasse et de ses murs éventrés par les obus. Irun serait aussi une ville insignifiante si elle n’était du côté de la France la tête de ligne des chemins de fer espagnols et la clef stratégique de toute la contrée. Tolosa, entourée de manufactures, se vante du titre de capitale du Guipúzcoa; Zarauz, Guetaria, à la racine de son île pittoresque changée en péninsule, Lequeytio ont leurs bains de mer; Zumaya, à l’issue de la vallée de l’Urola, a ses carrières de plâtre qui fournissent aux ingénieurs un incomparable ciment; Vergara, jadis renommée par ses manufactures d’armes, a les nombreuses sources ferrugineuses des environs, son collège célèbre fondé en 1776 par la Société basque, et le souvenir de la convention mémorable qui mit fin, en 1839, à la première guerre carliste. Durango est également une ville dont le nom a fréquemment retenti pendant les guerres civiles du nord de l’Espagne. Guernica, dans la Biscaye, a son palais «foral» et le fameux chêne sous lequel s’assemblent encore les législateurs de la contrée; mais, comme toutes les prétendues villes basques, Guernica n’est en réalité qu’une simple bourgade.

Sur le versant méridional les monts pyrénéens, les grandes agglomérations ne sont pas plus nombreuses, ce qui explique d’ailleurs par ce fait, que la population est trois fois moins dense que sur le versant atlantique. Vitoria, capitale de l’Alava, située sur le chemin de fer de Paris à Madrid, est une ville industrielle et commerçante, un entrepôt d’échanges entre les provinces Basques et les Castilles.

Pampelune ou Pamplona, dont le nom rappellerait encore celui de son reconstructeur Pompée, est surtout une ville forte, souvent assiégée, souvent prise; sa cathédrale est une des plus riches et des plus curieuses de l’Espagne. Tafalla, «la flor de Navarra» et l’ancienne capitale du royaume, a seulement les ruines de son palais, que son bâtisseur, don Carlos le Noble, voulait, dit-on, réunir au palais d’Olite, situé également dans la vallée du Cidaco, par une galerie d’une lieue de longueur. Puente la Reina est célèbre par ses vins. Estella, l’une des villes les plus riantes de la Navarre, commande plusieurs défilés sur les chemins des Castilles et de l’Aragon, et possède par conséquent une sérieuse importance stratégique. Pendant la guerre actuelle, les carlistes l’ont transformée en une puissante forteresse.

Dans la province limitrophe, dépendant de la Vieille Castille, Tudela, riche en vins, Calahorra et Logroño, dont le pont date du onzième siècle, sont également des places militaires de quelque valeur, parce qu’elles commandent les passages de l’Ebre. Calahorra, qui avait pris pour devise la fière parole: «J’ai prévalu sur Carthage et sur Rome,» fut le boulevard de défense de Sertorius contre Pompée; mais son héroïsme lui coûta cher. Assiégée par les Romains, elle perdit presque tous ses citoyens par la famine; les défendeurs de la ville eurent à se nourrir de la chair de leurs femmes et de leurs enfants.

Quoique située en dehors des pays de langue euskarienne, dans les riches campagnes de la Rioja, Calahorra, la vieille Calagorri des Ibères, se rattache intimement à l’histoire des provinces Vascongades, car c’est d’après les anciennes lois de Calahorra qu’ont été rédigés les fors d’Alava, jurés en 1332 par le suzerain Alphonse le Justicier. Elle fut la patrie de Quintilien.

II: La France

II Les Pyrénées, les Landes et le bassin de la Garonne

Les noms des lieux des Pyrénées françaises, dans toute la partie occidentale et même à l’extrémité orientale de la chaîne, sont ibériens et romains, non celtiques: ce qui fait supposer qu’avant la conquête des Gaules méridionales par les Romains les habitants du pays étaient les uns et les autres de langue euskarienne : il resterait à dresser la liste complète de tous les noms incontestablement basques de la région pyrénéenne; on pourrait acquérir ainsi de précieux renseignements sur la distribution des habitants à la période romaine. À en juger par l’idiome, qui est, à proprement parler, le seul vraiment «européen» ou autochtone de l’Europe, les Basques seraient les représentants de la race la plus ancienne du continent. On sait que, par un remarquable phénomène historique, les populations ont gardé leur langue ibérique, d’ailleurs bien transformée, non dans les régions les plus âpres, dans les bassins les plus fermés de la chaîne pyrénéenne, mais au contraire dans les vallons d’accès facile qui séparent les grandes Pyrénées des massifs de la côte cantabre; là aussi des bohémiens, ainsi que des «cagots» et des «cascarots» d’origine inconnue, vivaient en groupes séparés. La part du territoire basque appartenant politiquement à la France est beaucoup moins étendue que celle de l’Espagne, mais elle est relativement plus peuplée et contient environ le cinquième des Euskariens, divisés en trois groupes parlant chacun son dialecte; ces groupes sont ceux du Labourd, de la basse Navarre et de la Soule, c’est-à-dire des vallées de la Nivelle et de la Nive, de la Bidouze, du gave de Mauléon. Nulle part la limite du pays Basque ne s’avance jusqu’à l’Adour; sans tenir compte d’une sorte de péninsule peuplée par des hommes d’idiome béarnais, au sud du village d’Urt, cette ligne se développe sur le flanc des coteaux qui dominent le fleuve entre Bayonne et Bidache, et par de nombreuses sinuosités va rejoindre le pic d’Anie, la dernière montagne de la grande chaîne pyrénéenne. À l’est des limites actuelles, notamment dans la vallée d’Aspe, des traces du basque se sont maintenues, non seulement dans les noms de lieux, mais aussi dans l’accent avec lequel on les prononce.

Il ne paraît pas que les frontières du basque et du béarnais se soient déplacées depuis les origines du moyen âge. Le noble idiome des Euskariens n’avait point à reculer devant le béarnais, langage à peine plus littéraire et dépourvu de l’influence exceptionnelle que donne la domination politique. Ce que le béarnais n’a pu faire, le français le fera certainement, non de vive force, mais par de lentes modifications. Quand tous les indigènes parleront les deux langues, ils finiront par négliger celui des deux idiomes qui leur sera le moins utile. Actuellement, il faut le dire, ce qui protège le basque avec le plus d’efficacité contre les envahissements du français, c’est l’ignorance dans laquelle se trouvent encore les populations: elles n’éprouvent guère le besoin d’agrandir leur horizon intellectuel par l’usage d’une langue plus policée que la leur. D’après les statistiques les plus récentes, une moitié des hommes et les deux tiers des femmes du pays euskarien sont complètement illettrés: les Basques occupent donc pour l’instruction le dernier rang parmi les Français.

L’émigration enlève chaque année une proportion de Basques français beaucoup plus forte que celle des Basques espagnols. C’est principalement vers Bayonne, Toulouse et Bordeaux que se dirige l’exode des Basques allant se mêler aux populations gasconnes; des milliers d’Euskariens y travaillent en qualité d’arrimeurs, de portefaix, d’artisans, d’employés de commerce, tandis que les Basquaises entrent dans les familles comme domestiques. Mais les jeunes hommes, abhorrant pour la plupart le service militaire, et d’ailleurs faciles à entraîner par l’amour des aventures lointaines, qui est chez eux un instinct de race et qui fit de leurs ancêtres de si hardis pêcheurs de baleines, ne craignent pas de s’expatrier et de s’enfuir en Amérique, même sans espoir de retour : le département des Basses-Pyrénées a compté parfois à lui seul la moitié ou même les trois cinquièmes des insoumis français. Ces jeunes gens, à leur tour, entraînent après eux des parents et des amis, et c’est ainsi que le Nouveau Monde, au Venezuela, au Chili, surtout dans la république Argentine, contient maintenant plus de Basques français, émigrés ou fils d’émigrés, que n’en contient la France elle-même. Dans les Pyrénées basques, il n’est pas rare de voir des champs abandonnés par le propriétaire, même avant la récolte. D’ailleurs, les Béarnais voisins du pays Basque, notamment ceux des campagnes d’Oloron et des vallées d’Aspe et de Barétous, ne sont pas moins ardents que les Basques à quitter leur patrie.

[...]

[ Basse-Navarre et Soule ]

Dans les environs de Bayonne, à Briscous, à Villefranque, se trouvent aussi des gisements de sel. Jadis les sources de Briscous s’épanchaient en marécage, dont l’eau saumâtre allait se confondre avec celle de la rivière Ardanabia.

Les communes populeuses de l’intérieur du pays Basque, dans les vallées du Saison, de la Bidouze, de la Joyeuse, de la Nive et de la Nivelle, se composent pour la plupart de hameaux pittoresques épars au milieu des arbres. Les grandes forêts n’ont pas encore disparu de cette partie de la France et quelques-unes sont fort bien aménagées, entre autres celles des environs de Saint-Engrâce et de Holçarte, dont les bois franchissent les cluses sur un pont de câbles de plus de 100 mètres de hauteur. Tardets, sur le haut Saison, est devenu un grand et prospère atelier pour la fabrication des sandales. Mauléon-Licharre, ancienne capitale de la Soule et chef-lieu d’arrondissement, a son ancien château du «Mauvais Lion» et son pont gracieux, aux arcades ogivales festonnées de lierre; Hasparren, entourée de landes, a ses nombreux ateliers de cordonnerie, ses fabriques de drap; elle existait du temps d’Auguste, et l’on y a trouvé une inscription devenue célèbre, constatant que son municipe obtint que la Novempopulanie resterait distincte de la Gaule. Saint-Jean-Pied-de-Port a sa petite forteresse au confluent des trois Nives; d’Arnéguy, de Béhérobie, rappelle le fameux «défilé de Cize» dont parle la chanson de Roland et que l’on désigne aujourd’hui par le nom de Val-Carlos. Près de Saint-Jean-Pied-de-Port est une de ces colonies de chrestias (ou crétins), que le nom actuel de « cagots», importé du nord, désigne depuis le seizième siècle seulement; il ne faut donc point y voir les descendants des Visigoths. Jadis on les tenait en grand mépris et la tradition populaire les disait issus des porcs; néanmoins ils sont en général intelligents, forts et d’une santé florissante: les familles de cagots sont beaucoup plus saines et plus belles que celles de leurs voisins d’autres races. La source médicinale d’Ahusky, fameuse dans tout le pays Basque, jaillit entre Saint-Jean-Pied-de-Port et Tardets, sur un plateau de pâturages percé d’entonnoirs où se perdent des eaux.


 
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