Nathalie Valles / Commission Migrations de Batasuna
L`émeute
L’émeute c’est d’abord la confrontation émotionnelle de l’émeutier à la
logique de l’État. Elle ne dessine pas un paysage politique clair, mais elle
produit autant d’intelligence politique que de bêtises. Parce qu’elle devient
l’expression collective de dizaines, de centaines, de milliers d’individualités
mises à mal par l’Etat. L’émeute n’est ni de droite ni de gauche. L’émeute est
souvent l’expression ultime face à un crime social que l’État, une fois de plus,
une fois de trop, tente en vain de couvrir parce que ce jour-là, les personnes
et la communauté à laquelle ils se rattachent, a décidé de manière vitale pour
l’estime d’eux-mêmes que ce crime fondateur était la limite de leur tolérance au
mal. L’émeute alors nous échappe car elle n’appartient à personne et à tous,
quelle que soit sa couleur politique. Ce que l’émeute tente en vain de faire
exploser c’est l’univers carcéral créé par un État centralisé jacobin, C’est
l’univers carcéral qu’elle montre plus qu’elle ne le dénonce. Un univers qui
n’est pas fait que de malheurs, mais qui est nourri par les limites
territoriales qu’impose la crise sociale et économique. L’absence de
perspectives, le chômage, le manque d’argent, la surdose médicamenteuse,
d’alcool, le racisme. L’émeute est l’automutilation que s’inflige l’émeutier
face à l’impunité dont bénéficient tous les acteurs sociaux et politiques.
Sarkozy n’en est que le porte-parole. Par le vol démagogique de mots qui ne sont
pas les siens, il est venu réaffirmer que tous les espaces territoriaux de
l’Etat lui appartiennent. C’est face au mur que naît l’émeutier et produit aussi
bien le crime que la révolte. Sarkozy a rappelé le mépris quotidien que
prodiguent les dominants, leur impunité dans le crime, le vol, la gestion et
leur droit d’utiliser la répression comme réponse aux émeutiers. L’émeute
produit de la peur parce qu’elle rappelle qu’en obligeant les gens à survivre et
non à vivre elle crée les conditions de sa naissance et de sa mort. L’émeute
comme confrontation à l’État centralisé est un constat d’échec pour lui parce
que comme réponse émotionnelle, elle répond de manière violente et parfois floue
à la répression quotidienne. L’appel à des lois coloniales, pour la contenir
pour en reprendre le contrôle dit bien la perception qu’à l’Etat des peuples et
sa vision des cités. Comme à la guerre d’Algérie, jamais officiellement nommée,
voici la guerre sociale que l’émeute rend visible. Cet ensemble de codes sociaux
communautaires liés au racisme et à l’ostracisme social de l’État français,
quand la peinture bleue sur les murs, gracieusement offerte par les services
sociaux pour repeindre un univers carcéral ne peut plus masquer que le véritable
désespoir caché sous le racisme ordinaire, c’est celui de ne pouvoir s’en
échapper quoi que l’on fasse. Les territoires de l’émeute sont en premier ceux
ou vivent les victimes quels que soient les crimes, les manques de cet Etat. Car
entre le donneur d’ordres et celui qui fait le sale boulot, il existe le même
mépris qu’entre le donneur d’ordres et l’émeutier. La parole de la répression de
l’Etat dans ses salons, la guerre dans les cités, dans les territoires que
l’Etat a assignés aux plus pauvres, aux plus précaires. L’émeute dès lors
échappe à la régulation sociale parce que cette régulation, elle-même portée par
des travailleurs sociaux précarisés, souvent héritiers d’une lutte personnelle
pour s’en sortir, si elle sauve des individus, ne règle jamais les problèmes de
fond de notre société et de l’Etat français, amenés par une inégalité
fondamentale des chances. Les cités cumulant aujourd’hui les inégalités,
cumulent les conditions objectives de leurs explosions. Du déficit bancaire à
une épargne même pas indexée sur le coût de la vie. De la violence comme
régulatrice de la norme sociale à l’impunité des violences de l’Etat : pertes
des droits sociaux, inégalités des droits civiques, politiques, culturels,
chômage, éducation à plusieurs vitesses, racisme, violences policières, prisons,
couvre-feux. Voilà la réponse que propose De Villepin et consorts pour nous
imposer et sans nous leurrer avec l’appui de certains, une "démocratie"
sécuritaire, une dictature qui ne dit pas son nom. À nous ensemble de réfléchir
de manière individuelle, collective à d’autres perspectives, d’autres modèles
politiques en résistance à ce qui est une lutte contre la montée des démocraties
liberticides qui tentent d’installer de manière durable en créant les conditions
de l’émeute, les lois pour exercer leurs pouvoirs totalitaires. L’application de
la loi du couvre-feu marque de manière claire une vision coloniale, raciste et
militaire de l’Etat français face aux peuples et aux classes sociales qui
composent son espace territorial. À nous de revendiquer le droit à tous d’être
un véritable sujet politique et de décider ensemble de notre avenir dans la
perspective de projets ou l’égalité ne serait plus un principe vendu par les
partis politiques français en fonction des opportunités électorales. En 2005 les
émeutes sont à Chirac, ce qu’elles furent en 83 et 84 à Mitterrand mais elles
portèrent aussi des fruits. Inventons les nôtres, ou au moins essayons.
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