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Le JPB > Pays Basque 2007-12-29
Xabier ITÇAINA / Chercheur en sciences politiques
« Le débat dans l’église est un peu plus apaisé »

Xabier Itçaina est chargé de recherche en sciences politiques au CNRS, à Sciences Po Bordeaux. Il vient de publier Les virtuoses de l’identité. religion et politique en Pays Basque (Presses universitaires de Rennes, 2007), dans lequel il dissèque, dans une remarquable histoire sociale et politique, les relations entretenues entre les mobilisations identitaires et le champ religieux catholique, des deux côtés des Pyrénées. Un écheveau particulièrement complexe et mouvant entre euskara, catholicisme, abertzalisme et action collective. Vendredi 11 janvier prochain il en fera une présentation publique à 18h30 à la médiathèque de Cambo.

L’association Fededunak vient d’adresser une requête au pape Benoît XVI afin qu’il nomme un évêque du Pays Basque, qui soit sensible à la dimension culturelle basque. S’agit-il d’une demande nouvelle ?

Non. Les démarches de cet ordre sont récurrentes dans l’histoire contemporaine du Pays Basque, et ce des deux côtés de la frontière. Côté Nord, des campagnes pour demander la partition du diocèse basco-béarnais et/ou la nomination d’un évêque basque, bascophone ou sensible à la problématique basque ont été médiatisées par des collectifs de chrétiens ou de prêtres, entre autres en 1963, 1985 ou 1997. La question a également été débattue au sein de la Commission culture du synode diocésain en 1992. Au Sud, le débat s’est longtemps cristallisé sur l’organisation territoriale de l’Eglise, héritière du démantèlement du diocèse de Vitoria en 1949 par le régime franquiste. Les demandes de réaménagement, loin d’être uniquement le fait des marges identitaires les plus mobilisées de l’Eglise, y ont aussi été relayées à plusieurs reprises par certains évêques. De plus, chaque nomination d’évêque y fait l’objet d’une politisation bien plus prononcée qu’au Nord.

L’église au Pays Basque nord est-elle toujours le lieu de débats/affrontements sur la question nationale (ou identitaire) basque ?

Je ne vois pas aujourd’hui l’Eglise du Pays Basque nord comme une arène particulièrement conflictuelle sur ce thème. Les débats identitaires se déploient essentiellement dans d’autres sphères. Ceci dit, l’Eglise, par vocation, est plongée dans la société, elle subit donc inévitablement en retour l’écho des débats sociaux, dont la question identitaire. On en trouve trace dans certains débats internes à l’Eglise: autour de la politique linguistique ecclésiale, de l’organisation territoriale du diocèse ou encore des prises de position épiscopales. Mais en règle générale, le débat côté Nord me semble un peu plus apaisé qu’à une époque. La société basque s’est sécularisée, et l’Eglise est surtout confrontée à des problèmes qui sont sans doute arrivés ici un peu plus tard qu’ailleurs en France, mais qui constituent les défis universels du catholicisme : pénurie de vocations, désertion des pratiquants, réaménagement territorial des paroisses, engagement sur les questions sociales, etc.

Longtemps identité basque et identité religieuse ont été confondues, jusqu’au lapidaire euskaldun fededun. Alors que l’emprise de l’église n’est plus celle de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, le "mouvement basque" s’est-il affranchi de la tutelle religieuse, ou bien la dimension catholique irrigue-t-elle toujours, mais différemment, les mobilisations culturelles et politiques basques ? Une laïcisation en trompe-l’¦il ?

Le mouvement abertzale, en tant que mobilisation politique, est aujourd’hui totalement sécularisé, et ce au moins depuis les débuts d’Enbata. Seule la variante démocrate-chrétienne de l’abertzalisme entretient une référence implicite au religieux, mais une référence d’ordre mémoriel, à l’image de l’ensemble des démocraties chrétiennes européennes. La sécularisation du mouvement abertzale s’est d’ailleurs effectuée, à plusieurs égards, en rupture avec l’institution catholique, surtout dans les années 1970. Mais la religion, ce n’est pas que l’institution, et bon nombre d’histoires de vie de militants coïncident pour souligner le poids d’une socialisation religieuse poussée parfois jusqu’à la prêtrise dans la constitution d’une éthique de l’engagement et d’une certaine forme d’intransigeance, au sens d’Emile Poulat : tout n’est pas négociable, on refuse le relativisme absolu. Le paradoxe, c’est que cette traduction du message évangélique s’est souvent accompagnée d’un éloignement vis-à-vis de l’institution ecclésiale. Je nuance doublement ce propos : d’une part, tous les militants abertzale ne sont pas les produits de ce modèle, loin de là, et d’autre part, c’est une forme de transfert des valeurs religieuses vers des luttes politiques, syndicales ou autres que l’on retrouve dans l’ensemble du monde catholique. Simplement, la spécificité basque provient de la coloration identitaire qu’a prise ici ce transfert.

Le titre de votre ouvrage évoque des "virtuoses de l’identité" ; de quoi s’agit-il, de figures militantes qui jonglent avec des registres religieux et politiques ?

Ce titre est une métaphore musicale et une référence à la sociologie de Max Weber, l’un des pères fondateurs de la sociologie religieuse. Weber qualifie de "virtuoses du religieux" les ordres religieux, le clergé régulier, qui sont ceux, au sein de l’Eglise, qui poussent la radicalité de l’engagement le plus loin, théologiquement et pratiquement. Pour Jean Séguy, un sociologue français dans la lignée de Weber, les ordres religieux sont des protestations intégrées à l’Eglise. Ces virtuoses du religieux ­qui, en Pays Basque, incluent bon nombre de prêtres séculiers­ ont joué un rôle important dans la genèse d’une certaine radicalité dans la mobilisation identitaire, en particulier en matière linguistique et culturelle. L’histoire de la revue Jakin, née en 1956 chez les franciscains d’Arantzazu et qui expérimentera une sécularisation en douceur, est un bon exemple du transfert d’un savoir-faire intellectuel acquis au sein d’un ordre religieux, avec sa dimension de vie communautaire, et transféré vers un outil culturel, linguistiquement et philosophiquement virtuose, au service de la langue basque. Weber est aussi celui qui a creusé les liens entre les éthiques religieuses et les modèles économiques. On peut s’inspirer de L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme pour analyser localement le lien entre éthique catholique et émergence de l’économie sociale, et singulièrement du coopérativisme, par exemple à Mondragón.

Dans votre livre vous montrez comment l’identité basque a été au tournant du siècle dernier investie et valorisée par les hommes d’église et les élus, et finalement un vecteur d’intégration à la République française pourtant honnie par "les blancs". Comment expliquer ce paradoxe ?

C’est un paradoxe que j’explique par la distinction entre l’Etat et la Nation. Une grande partie du clergé basque aux débuts de la IIIe République critique la politique jugée anticléricale de l’Etat français, sans pour autant remettre en cause l’appartenance à la Nation française. Il y a bien quelques hésitations, mais les choses se stabilisent, surtout pendant la Première guerre mondiale. Les idées séparatistes de Sabino Arana trouveront dans un premier temps peu d’écho au Nord, hormis dans quelques cercles restreints, bien analysés par P. Charritton. Le clergé comprend assez vite, au Pays Basque comme ailleurs, que l’opposition au régime républicain est une cause perdue, et que le meilleur moyen de faire progresser ses idées est le vote. Un vote bien entendu orienté et communautaire, loin de l’idéal du citoyen libre et informé. Dès lors, l’acte de vote est sacralisé, et l’abstention devient un péché. J. Micheu-Puyou a montré que les taux de participation électorale sous la IIIe et la IVe République étaient plus élevés en Pays Basque qu’en Béarn, et il voit à juste titre le poids de la religion parmi les facteurs différenciateurs. De même, la langue basque est-elle utilisée dans cet argumentaire, même si sa défense n’était pas le monopole des "blancs". Il y a un libéralisme politique d’expression basque, que F. B. Larçabal avait notamment analysé.

Au Pays Basque sud, la dimension catholique est-elle plus (ou moins) prégnante dans les mobilisations nationalistes (et inversement) ? Le mouvement de sécularisation est-il semblable à celui de ce côté-ci de la Bidassoa?

On retrouve grosso modo, sur les deux derniers siècles, les mêmes grandes séquences historiques des deux côtés, en particulier dans les répertoires d’action du clergé basque : le répertoire de la tradition (carlisme au Sud, conservatisme clérical au Nord), le répertoire de la filiation (émergence du PNV au Sud, premières diffusions des idées abertzale au Nord), le répertoire de la rébellion et de la sécularisation du nationalisme (émergence d’ETA au Sud, d’Enbata au Nord). Je fais l’hypothèse de l’émergence d’un quatrième répertoire dans la période contemporaine, celui de la médiation. C’est surtout vrai au Sud, où l’Eglise s’est trouvé une place reconnue parmi les multiples initiatives en faveur de la paix émanant de la société civile depuis le milieu des années 1980. C’est aussi une façon pour certains secteurs ecclésiaux de retrouver une légitimité dans un espace public pluriel et très polarisé, et qui a surtout connu une sécularisation plus radicale qu’au Nord à la sortie du franquisme. Tout cela s’inscrit bien sûr dans des développements historiques très différents des sociétés basques de part et d’autre de la frontière.


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