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Le JPB > Sujet à la une 2007-10-10
Une journée au port des "cristianos"
Xipri Arbelbide, journaliste à la retraite, est allé aux îles Canaries pour témoigner des arrivages quotidiens d’immigrants dans les cayucos, en quête d’une vie meilleure.

France Info. 220 Africains sont arrivés à las Palmas dans trois pirogues. Ils ont été accueillis par la Croix Rouge Espagnole». On entend périodiquement cette brève. Un peu court. Pour en savoir plus, je suis allé à Tenerife, dans les îles Canaries.

Douze heures après l’arrivée, on annonce un Œcayuco’. Une douzaine de caméras attendent sur le quai de Los Cristianos. Une vedette du Salvamento Maritimo arrive. On y a transbordé les 66 passagers.

La police nous tient à distance. Impossible d’entrer en contact avec eux. Sont-ils des pestiférés ? Ceux qui les accueillent portent masque et gants. Ils descendent, les uns en forme, d’autres titubant, soutenus par les membres de la Cruz Roja qui les reçoit sous une tente, leur donne vêtements de rechange et thé.

Un autocar les emmène au commissariat, au tribunal et enfin au centre de rétention d’où on les ramènera chez eux par avion : certains en sont à leur quatrième tentative. Neuf mineurs et les malades resteront ici. Plus de 34000 ont réussi la traversée en 2006.

L’aventure des Ivoiriens

On n’en saura pas plus. Mais en nous promenant dans les rues, nous rencontrons trois noirs assis sur un banc. On les salue en français. Réponse avec un large sourire : enfin quelqu’un qu’ils comprennent !

- D’où venez-vous ?

- On vient de Côte d’Ivoire.

- De quelle ville ?

- De Duekoué.

- Vous êtes Bété ?

- Non, nous sommes Djula.

- Anisogoma

- Errechila

- Akakene

- Somodogo

- Donidoni.

- Tu connais la Côte d’Ivoire ?

- J’y ai passé 12 ans

- Mais alors tu es Ivoirien comme nous !

Les ayant salués dans leur langue, nous sommes devenus amis.

Oumar est forgeron. Il fabriquait des marmites et vivait bien. Mais les troupes de Bagbo sont entrées à Duékoue et ils ont voulu l’embrigader : il a la carrure d’un pilier de rugby. "Je n’allais pas prendre un fusil pour tuer mes frères qui sont contre Bagbo! Je me suis échappé en Guinée. Mais ça n’a pas marché là-bas. Je suis passé en Mauritanie. Un soir j’ai vu des petits groupes aller vers le port. J’ai deviné ce que c’était. Je les ai suivis et je suis monté sur le cayuco". Combien as-tu payé ? "Rien. Je leur ai dit que s’ils ne me laissaient pas je dirais à la police".

La sortie est clandestine: le port surveillé par la police mauritanienne en échange de menus fretins prodigués par l’Union Européenne. Oumar loge maintenant dans un centre d’accueil avec une dizaine d’autres.

Le voyage s’est bien passé à part un peu de mal de mer. Il n’a pas été expulsé : il est considéré comme réfugié politique avec ses deux compatriotes, Drissa et Adama.

Nous avons demandé à Oumar s’il allait partir en France."Avec Sarkozy? Jamais! Si ça avait été la femme, oui".

Les dangers de la traversée

Parmi les locataires, Djinkame, un Sénégalais. Il boite. "J’ai quitté l’Afrique dans un cayuco de 114 en décembre dernier. Au départ il faisait beau. Puis ce fut la tempête, la pluie, le froid. Sans protection, on était trempés, gelés. Neuf camarades sont morts pendant le voyage. On les a jetés à la mer. A l’arrivée, j’étais malade. On m’a mis à l’hôpital avec trois autres. Ils sont morts. A moi, on m’a coupé une jambe. Mais j’ai eu de la chance. Je suis vivant. À l’hôpital, j’ai pleuré à cause de la solitude : personne ne me comprenait".

Djinkame nous raconte ses malheurs avec un large sourire. Il a payé le voyage 600 euros. Certains doivent débourser jusqu’à 3.000 euros. On cotise en famille pour que quelqu’un puisse tenter sa chance.

Sick était en Casamance. Le luxe européen qu’il voyait à la télé de son voisin l’a fait rêver. Il est parti. Il n’a pas eu peur car, pêcheur, il est habitué à la mer. Voyage gratuit : le cayuco appartenait à son patron. Le voyage a été difficile: 1200 kilomètres (Bayonne, Anvers) à 135, entassés dans une barque de 22 mètres sur 1,5 m. Il fallait aussi loger les bidons d’essence, d’eau. Deux jours avant l’arrivée l’eau était épuisée. Sous le soleil des tropiques, la soif est devenue intolérable et Sick qui pourtant connaissait la mer, n’a pu résister à la tentation : il a bu de cette eau salée. Le remède a été pire que le mal.

Un des passagers s’est blessé au bras. Soleil, eau de mer et manque d’hygiène ont fait évoluer le bobo initial en gangrène ; on lui a coupé le bras à l’hôpital de Tenerife.

En route, l’océan a été la tombe de deux passagers. Dans les cimetières des Canaries on ne compte pas moins de 300 tombes anonymes : les corps rejetés par la mer. Combien d’autres au fond de l’Atlantique? On a retrouvé aux Bahamas un cayuco avec six corps momifiés : derniers survivants d’une traversée tragique. Déviés de la bonne direction, les alizés les ont emportés sur l’autre rive.

Au début, on partait du Maroc. La traversée, une centaine de kilomètres, s’effectuait en un jour. Puis ce fut la Mauritanie : 500 kilomètres, cinq à six jours de voyage. Aujourd’hui c’est donc la Casamance.

Quand ce n’est pas la Guinée. Plus le voyage est long, plus les morts sont nombreux. Ils en ont conscience, mais ne reculent pas pour cela. "Toi, quand tu montes dans ta voiture, tu peux aussi mourir. Et puis Dieu est là", nous a dit Oumar.

Les soutiens

Jospeh Faye qui travaille au noir nous disait : "Nous subissons un nouvel esclavage en compagnie des Colombiens". Le responsable de l’emploi aux Canaries déclarait que 70% des immigrés trouvent un emploi contre 52% des Canariens.

Joseph reconnaissait cependant que beaucoup de gens sont bons avec eux. Jorge Fariña, embauché par une commune pour s’occuper des immigrés, nous parlait du village d’Abigo récemment décoré: un cayuco a échoué sur la plage: les villageois avaient donné vêtements, boissons et nourriture avant l’arrivée de la Cruz Roja.

Son ami, Eloy Cuadra Pedrini a été garde civil sur les vedettes de surveillance. Il a vu tellement de misère qu’il s’est reconverti, créant une association d’aide et de défense des émigrés (Conafrica.org). "Si l’on a du c¦ur, il n’est pas possible de voir continuellement des spectacles si pénibles. J’ai honte de ce qui se passe sur nos frontières avec ces Africains qui risquent la mort pour trouver une vie meilleure".

Aujourd’hui, certains se munissent du GPS ou d’un téléphone mobile. Mais il leur est de plus en plus difficile de passer entre les mailles du filet.

Jairo Gonzalo, qui a organisé la Cruz Roja en vue de la réception des Africains explique: "Pour se préserver, l’Union Européenne a créé le Frontex qui compte 116 vedettes de l’armée, 27 hélicoptères, 21 avions avec radars mobiles et caméras thermiques pour voir la nuit. 392 équipes techniques surveillent nos frontières". Des techniciens anti-nègres en quelque sorte, chargés de nous protéger de l’invasion de ces barbares des temps modernes qui ont la prétention de vouloir vivre aussi bien que nous. C’est le mur d’Israël des Européens.

Moussa Ndiaye, médiateur-interprète (il parle sept langues) confie: "La police ne va pas régler le problème. On ferait mieux de dépenser tout cet argent à créer des usines en Afrique. S’il y avait du travail, personne ne risquerait sa vie".

La cocotte-minute siffle. L’alternative est simple: ou bien on éteint le feu, ou bien on appuie sur le clapet pour empêcher la vapeur de fuir. Dans ce cas, la cocotte éclate. Il semblerait que l’Europe privilégie cette solution.

Xipri ARBELBIDE



321 millions d’euros pour freiner l’immigration
Depuis le début de l’année, ce sont près de 7 000 immigrés clandestins qui ont réussi à gagner les côtes des îles Canaries, en provenance des côtes de l’Afrique de l’Ouest.

Cependant, selon les statistiques officielles, une nette diminution des arrivées de clandestins est constatée par rapport à l’année dernière, une année qui a enregistré plus de 34 000 candidats à l’immigration, soit six fois plus qu’en 2005.

Pour les services de l’immigration espagnols, ce recul est expliqué par la mise en service du dispositif de l’agence européenne Frontex qui a fait dans l’intensification de la surveillance du long des côtes ouest de l’Afrique son cheval de bataille.

Pour faire face à ces flux migratoires, le gouvernement espagnol a annoncé dernièrement qu’il allait porter à 321 millions d’euros, en 2008, soit 2,2% de plus qu’en 2007, son budget destiné au contrôle de l’immigration clandestine, à l’accueil des immigrés et à leur rapatriement.

Cependant, malgré ce déploiement, la présence de bateaux chargés de migrants reste fréquente dans l’Atlantique. Et les accidents aussi. Le mois dernier a ainsi été une nouvelle fois endeuillé par la noyade après le chavirement de leur embarcation de 10 Nord-Africains qui tentaient d’entrer sur le territoire espagnol. Par ailleurs, quelques jours auparavant, un chalutier transportant 70 Africains en direction des Canaries avait également fait naufrage.


 
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