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Le JPB > Sujet à la une 2007-12-26
La visite guidée de bayonne, autrement
·Le samedi 15 dernier, Abertzaleen Batasuna a organisé une visite "politico-patrimoniale" de Bayonne avec l’historien et ethnologue Claude Labat pour guide. A lire comme un conte de Noël.

Une visite guidée pas comme les autres. A l’initiative d’Abertzaleen Batasuna, une trentaine de personnes a pu assister à une visite "politico-patrimoniale" de Bayonne, avec le responsable de l’association patrimoniale Lauburu, Claude Labat. Il est en particulier l’auteur de Bayonne, raconter l’histoire autrement (Elkar). A chaque étape, un petit point patrimonial ou historique a été réalisé nous reproduisons une bonne partie de ses interventions. Et l’occasion pour AB d’exprimer originalement son point de vue sur les politiques publiques de l’immobilier, en particulier à Bayonne. Une visite qui est partie de la Porte d’Espagne pour s’achever au Petit-Bayonne, ponctuée de rappels historiques et de commentaires humoristiques. Suivez le guide.

"L’installation dans un territoire équivaut à la fondation d’un monde", disait Mircéa Eliade. En ce qui concerne la fondation de Bayonne, l’histoire est très simple. Le territoire se limite à une petite colline de 14 mètres au-dessus du confluent de la Nive et de l’Adour ; c’est-à-dire une modeste butte environnée de zones marécageuses appelées barthes. Alors, le monde qui a été créé ici est lui aussi forcément très simple: probablement dès le 1er siècle, la Nive accueille un village de pêcheurs qui se protègent des vents dominants en occupant le flanc est de la colline. Quatre siècles plus tard, une garnison romaine fortifie ce lieu et trace selon la coutume une rue nord-sud (le cardo) et une rue est-ouest (le décumanus), qui se croisent précisément au sommet de la colline. Sous l’Ancien régime, l’axe nord-sud commence au pont Saint-Esprit par la porte de France et finit par la rue et la porte d’Espagne. Cette voie reste l’artère principale de Bayonne jusqu’à la moitié du XXe siècle, quand elle perd son statut de Route nationale.

L’enceinte romaine est reprise au Moyen-Âge, puis au cours des siècles suivants on n’arrête pas de perfectionner le dispositif de fortifications, au point que Bayonne reste un exemple quasi unique en Europe de tout ce qui a été fait de mieux en poliorcétique (çà, c’est un gros mot qui désigne l’art de fortifier une ville). Résultat : jusqu’à l’entrée du XXe siècle, Bayonne est une ville "corsetée dans ses remparts". Et, sans doute pour tempérer les ardeurs de la belle corsetée, on y trouve l’une des plus grandes concentrations de couvents du Royaume. Ainsi, l’armée et l’Église resteront longtemps les plus grands propriétaires et aménageurs de la cité.

Et n’allez pas croire pour autant qu’entre ces murs la vie est un paradis : les maisons situées le long des remparts ne doivent pas avoir d’ouverture vers l’extérieur par mesure de sécurité. C’est sans doute ce qui explique l’attrait de certains Bayonnais pour le style "casemate".

Rue d’Espagne

Au XVIe siècle, les remparts de Bayonne sont en mauvais état et, à deux reprises, il y a des éboulements. On organise des processions pour "apaiser la colère de Dieu" (le Grand Architecte bien connu), en attendant que le roi dépêche un ingénieur, le chevalier Orloge, lequel arrive à temps (!) pour entreprendre les réparations nécessaires. En fait, le fameux corset de fortifications a du mal à contenir l’embonpoint que Bayonne a gagné au XVIe siècle. En effet, à cette époque, les faubourgs situés à l’extérieur de la ville ont été démolis ainsi que tout ce qui se trouve à 200 pas des fossés. La population des faubourgs se réfugie intra muros et si l’on ajoute le transfert des couvents, grands consommateurs d’espace, on comprend que la seule issue pour accueillir cet afflux est d’agrandir les maisons en hauteur. Il s’agit là d’une évolution majeure de l’urbanisme bayonnais ; de plus, le Parlement de Bordeaux ordonne "à son de trompe et cri public" que les maisons soient alignées, quitte à démolir leurs façades pour les reculer et "les mettre à plomb". Mais, vu la pauvreté des habitants, le Corps de ville demande un délai de 10 ans pour l’exécution de l’ordonnance.

Ce n’est qu’à partir de la fin du XIXe siècle que l’armée commence à céder des terrains pour que la ville s’étende hors des remparts.

Les habitants de Bayonne qui étaient pauvres au XVIe siècle le sont encore au milieu du XXe siècle. Et c’est pour eux, par exemple, que l’on songe à construire un quartier neuf à Balichon. Une enquête sociologique de 1959 dit à propos du quartier où nous sommes : "le secteur de la cathédrale est la partie la plus pauvre et la plus pitoyable du Vieux Bayonne ; au point de vue habitat, on y enregistre un entassement de population considérable dans des rues étroites sans soleilŠ La rue d’Espagne avec ses commerces, ses artisans, ses cafés est, à elle seule, une ville."

Place Montaut et cathédrale

Savez-vous qu’il y a une trentaine d’années, un érudit bayonnais s’offusqua de voir sur les façades des maisons restaurées les boiseries peintes en rouge sur le crépi blancŠ Il affirmait que ça faisait trop basque !

Plus sérieusement, il est intéressant d’évoquer ici la vie qui animait jadis ces quartiers de la cité. Imaginez par exemple les maisons et les échoppes colées contre la cathédrale depuis le XIIe siècle jusqu’au XIXe. Les monuments urbains bien dégagés dans des quartiers proprets sont une pratique récente qui découle de la redécouverte de l’architecture gothique et de l’institution des monuments historiques.

Sans jeu de mot, on assiste ainsi dans de nombreuses villes à la mise sous cloche de quartiers entiers. On a du mal à croire que ce secteur du centre ancien aujourd’hui si calme était le c¦ur d’une ville pleine de vie, c’est-à-dire de bruits, d’odeurs, de saveurs, de rires, de cris, de rencontres et de bagarresŠ Jugez plutôt...

Lors de fouilles de sondages effectuées en 1993 ici à la Place Montaut, il a été trouvé des indices démontrant une présence humaine dès le 1er siècle. Donc, si vous voulez savoir comment vivaient nos ancêtres, il suffit de gratter le sol. Rien que dans la couche correspondant aux XVIIe et XVIIIe siècles, on a mis au jour des tessons de verre (mais pas besoin d’être archéologue pour connaître les mauvais penchants des Bayonnais), on a trouvé aussi des clous forgés (pour la construction navale) et des tuyaux de pipes (c’était donc un espace fumeur !). Mais surtout, des déchets d’origine domestique, des ossements d’animaux, dont beaucoup avec des traces de découpe (la rue Vieille Boucherie n’est pas loin), des arêtes de poissons et des coquillages (la rue Poissonnerie est à côté). On a identifié également des traces d’incendies et des scories métalliques témoignant d’une activité liée au travail du fer (nous sommes près de la rue des Faures)Š

On peut regretter que l’on ne donne généralement pas assez d’écho à la richesse archéologique de Bayonne pour donner l’épaisseur patrimoniale et humaine nécessaire à la compréhension des interventions sur le secteur sauvegardé. Le patrimoine reste trop souvent une affaire de spécialistes alors qu’il pourrait être un instrument d’éducation populaire. Faut-il s’étonner dès lors que la vieille ville ne soit perçue que comme un décor pour touristes et fêtards. Il faut promouvoir un centre ancien avec des logements, des activités économiques et des moyens de déplacements modernes. Sinon, dans 2000 ans, les archéologues ne trouveront dans la couche correspondant aux XXe et XXIe siècles que des verres en plastiques et des canettes de bière.

Rue du Pilori

L’évocation du pilori en ce lieu est incontournable. La fontaine érigée sur l’emplacement de cet instrument de supplice fait partie elle aussi du paysage bayonnais. Vous savez sans doute que cette fontaine est devenue démontable. Moi, ça me pose questionŠ faut-il céder aux vandales qui saccagent les fêtes en concevant une ville entièrement démontable ? Je propose que l’on institue un pilori d’un genre nouveau adapté à ces individus en les enrôlant dans les équipes de nettoyage des rues pendant les fêtes.

Avec le pilori, on aborde aussi le droit d’asile dans la cathédrale et toutes les règles que la société a mises au point dès sa fondation. Mais tout ça n’est que la partie visible d’un iceberg complexe : celui de la société, de ses acteurs et de ses tensions. Au Moyen-Âge, alors que Bayonne est une cité anglaise dynamique, la ville abrite une foule de métiers et de gens de conditions très diverses. Il y a le Bayonne populaire constitué de gens de mer et d’artisans favorables à la couronne d’Angleterre et il y a le Bayonne aristocratique avec les négociants, les propriétaires fonciers, les clercs, les hommes de loi, généralement hostiles au souverain anglaisŠ

On sait qu’il faudra un miracle dans le ciel pour que Bayonne passe de la couronne d’Angleterre à celle de France. Mais on sait aussi qu’en politique, les miracles ne profitent pas nécessairement à ceux qui en ont besoin. Anglaise ou française, Bayonne reste une ville aux mains des bourgeois et des négociants, des militaires et du clergé. La cité, un tantinet orgueilleuse, cherche à étendre son autorité sur toute la région. Cela ne va pas sans conflit, les Archives municipales en témoignent. Aujourd’hui, Bayonne n’est plus l’unique ville de la région, mais l’on peut se demander si, avec ses voisines, elle a trouvé le mode de relation équilibré nécessaire entre la zone côtière urbanisée et l’intérieur du pays. Vous allez me dire, bien sûr qu’on a fait des progrès: on ne se bat plus avec les Labourdins ou les habitants du Seignanx! Sans doute, mais en regardant bien, la bagarre a changé de forme: chaque jour des milliers de personnes viennent travailler à Bayonne, puis repartent dormir chez elles à 10, 20 ou 30 km plus loin et passent une bonne partie de leur temps dans les embouteillages.

Témoins de l’époque moyenâgeuse qui fut l’âge d’or de Bayonne, les caves voûtées qui se trouvent sous plus d’une centaine de maisons de la haute ville. Maurice Haulon, qui les a répertoriées, pensait qu’elles avaient été commandées par les bourgeois pour mettre les marchandises et les denrées à l’abri des incendies. Fait notoire, les plus anciennes sont les plus belles, notamment ici dans cette rue, puisqu’elles sont voûtées en croisées d’ogives. L’explication est simple : les négociants détournaient les matériaux destinés à la construction de la cathédrale et par la même occasion, ils débauchaient les tailleurs de pierre pour construire leurs caves. À cette époque, cela relève d’une réelle logique urbaine puisque la cathédrale, monument religieux, est aussi l’emblème officiel de la cité, c’est-à-dire du pouvoir des bourgeois. La Cathédrale est une sorte de panneau Decau qui chante les louanges d’une société tournée vers l’argent et le profit. Ne riez pas, nous sommes les héritiers de cette société.

Rue de la Salie

Tout le monde a remarqué l’étroitesse des façades des maisons de Bayonne. Cela s’explique par les dimensions des parcelles établies au Moyen-Âge. Environ 22 m sur 5,5m. Ce parcellaire fut probablement initié le long des deux voies romaines évoquées au début de la visite (le cardo nord-sud et le décumanus est-ouest) puis on étendit la règle dans le reste de la cité.

Les conséquences sur l’habitat et l’art de bâtir sont repérables encore aujourd’hui et constituent une caractéristique de l’urbanisme bayonnais. Derrière la façade étroite se trouve un premier corps de logis, puis une courette étroite qui forme un puits de jour pour éclairer un second corps de logis à l’autre bout de la parcelle. Un escalier souvent très beau par son audace et ses lignes dessert les étages. Une même famille pouvait donc disposer d’un logement "devant" et d’un autre "derrière" la maison : on appelle cela un appartement sous deux clés.

Petit Bayonne

Les quartiers bas de Bayonne ont été édifiés sur les barthes soumises à la marée. Donc, pas question ici d’aménager des caves en sous-sol. Il a même fallu enfoncer des pilotis pour supporter les maisons. Au Moyen-Âge, le port se trouve encore sur la Nive, mais la rivière ne possède pas de quais et les mouvements de la marée remplissent et désemplissent régulièrement les rues alentour. Bref, dans la basse ville, Bayonne est une sorte de petite Venise. Les chantiers navals côtoient les entrepôts, les échoppes d’artisans, les chais et les greniers à grainsŠ

Les maisons possèdent souvent des arcades au rez-de-chaussée pour accueillir les galupes qui viennent décharger les marchandises sous les maisons. Au fil du temps, les ordures domestiques jetées par les fenêtres encombrent les canaux que l’on finit par combler avec des pierres. Le port se déplace sur l’Adour mais les rues grouillent toujours de monde ; Bayonne est un carrefour de langues et de cultures. Bayonne est basque, gasconne, anglaise, espagnole, navarraise, flamande, françaiseŠ Bayonne est un confluent. C’est ce qui fait sa chance, encore aujourd’hui. Voilà pourquoi au lieu de se chamailler pour savoir si la ville est basque ou gasconne, les Bayonnais devraient plutôt mettre en valeur les cultures du monde dont elle est pétrie.

Rue du Trinquet

Ici, en plein c¦ur du secteur sauvegardé, revenons un instant sur la vénération du patrimoine. Certes il est nécessaire dans toute société de garder des repères, mais cela tourne parfois à l’idolâtrie et à l’intégrisme. A ma connaissance, sauvegarder n’est pas synonyme de fossiliser. Mais comme je suis un béotien en matière d’urbanisme, je me contente seulement de poser quelques questions naïves.

Pourquoi est-il si difficile de conjuguer le respect du passé et la qualité de vie au présent ? Pourquoi poser un double vitrage dans le secteur sauvegardé est-il considéré comme une injure au bâti ancien et non comme un geste citoyen ? Pourquoi refuse-t-on un ascenseur extérieur dans un établissement scolaire qui veut accueillir des handicapés au seul motif que le bâtiment est remarquable ? Pourquoi réhabiliter le centre ancien ne peut-il pas aller de paire avec le développement d’une politique de transports radicalement plus innovante que les navettes électriques ? Le culte du patrimoine cacherait-il un manque cruel d’imagination ?

Place Saint-André

Quand, à la fin de la Guerre de Cent ans, le roi de France prend possession de Bayonne, il fait édifier le Château Neuf aux confins du Bourg Neuf. Mais il sait bien que le c¦ur des Bayonnais bat encore pour la couronne d’Angleterre qui a permis le développement et la renommée de la cité. Alors, on dit que, craignant une rébellion, le pouvoir royal fait tourner les canonnières vers la ville et non vers l’extérieur. Cela relève sans doute de la légende. En revanche on sait que de nombreuses maisons sont expropriées pour créer un espace tampon entre le nouveau château et le Bourg Neuf. Une trentaine de constructions sont démolies parmi lesquelles trois maisons nobles et deux couvents. Quoi qu’il en soit, le Château Neuf appelé "Quiquengrogne" témoigne de l’autorité que la France entend exercer sur la villeŠ ce qui n’empêchera pas l’activité du port et du commerce bayonnais de décliner inexorablement. Et pour longtempsŠ

En conclusion de mon approche historique et patrimoniale durant cette virée dans les rues de Bayonne, on peut souhaiter que le caractère et la beauté de cette cité ne soient pas des arguments pour faire d’elle une ville musée. Pour éviter cette dérive, il faut à la fois conserver les repères qui donnent sens à l’aventure humaine dans ce coin de planète et refuser tout ce qui ne met pas l’homme au centre de cette aventure. Tout le monde sait que cette ville, jadis "corsetée dans ses remparts", étale aujourd’hui ses charmes loin du centre ancienŠ souhaitons que les soins qu’elle porte à son c¦ur vénérable ne l’empêchent pas de respirer les senteurs du futur.



"L’immobilier pourles nuls"
Avec un prix de l’immobilier qui s’est accru de 110 % de 2001 à 2007 et 1 800 logements vacants recensés dans la capitale labourdine, l’équation a de quoi énerver. La visite guidée a été l’occasion pour Abertzaleen Batasuna de rappeler ses propositions et actions en faveur du logement. Comme lors de la visite d’un immeuble réhabilité rue d’Espagne où AB avait fait une petite occupation symbolique dans un logement vacant issu d’une opération de défiscalisation par AFUL (association foncière urbaine libre). Deux mots ont été dits par Béatrice Peyrucq sur les avantages et problèmes soulevés par le secteur sauvegardé lors de la halte devant la cathédrale. Rue de la Salie, le cas d’un immeuble avec des logements vacants en mauvais a permis à AB d’aborder le problème de la réhabilitation du logement vacant. Enfin, au 5 bis rue du Trinquet, l’occupation par AB qui a permis de rouvrir un logement vide appartenant à la mairie, a été évoquée.

Les propositions d’AB sur les logements inoccupés ont été rappelées (elles ont été réunies dans un document en 2005), ainsi que celles sur la démocratie participative et la concertation dans le cas de l’aménagement de la place Patxa.


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