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Le JPB > Pays Basque 2007-08-25
Laurence HARDOUIN / Présidente de la CIMADE Pays Basque
« Faire du chiffre, cela vaengendrer une chasse à l’homme »

Laurence Hardouin est avocate et présidente de l’association d’entraide ¦cuménique Cimade locale depuis l’an dernier, qui est autorisée à intervenir dans les centres de rétention (dont celui d’Hendaye) pour venir en aide aux personnes "retenues". Elle réagit aux objectifs ministériels d’expulsions annoncés et fait le point sur la situation des sans-papiers au Pays Basque, et plus largement sur la question de l’immigration.

Le ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement Brice Hortefeux a annoncé qu’il fallait un coup d’accélérateur afin de pouvoir réaliser 25000 reconduites à la frontière. Quelle est votre réaction?

D’abord je constate qu’ils sont en deçà du chiffre qu’ils devaient atteindre au premier semestre 2007. Ce qui nous inquiète, c’est que cela va engendrer une chasse à l’homme. Il ne faut pas se faire des illusions. La situation ne va pas être simple pour les personnes qui sont toujours sur le territoire national. Car il n’y a plus ce que l’on appelle "la matière humaine", des Roumains et des Bulgares qui jusqu’à présent remplissaient les charters. Jusqu’à la fin de l’année dernière on a renvoyé par charters entiers des Roumains et des Bulgares. Depuis le premier janvier ils ont vocation à rentrer dans l’Europe et peuvent donc séjourner trois mois. Après, ils doivent repartir, mais ils peuvent revenir. Jusque-là ils augmentaient le chiffre des reconduites.

Localement ?

On s’aperçoit au quotidien que les personnes que l’on renvoie ne sont pas forcément des gens qui avaient vocation à rester sur le territoire, mais des gens qui étaient soit de passage soit qui partaient. Mais la lisibilité des chiffres fait qu’on ne le sait pas, puisque le chiffre est global, on marque "25000 reconduites à la frontière". Dans le lot, on ne sait pas si la moitié ne correspond pas à des personnes qui étaient en train de quitter le territoire. Nous, ce que l’on voyait à Hendaye c’étaient des bus en provenance de Belgique, de Hollande, qui partaient vers l’Espagne en direction du Maroc, avec des gens qui avaient payé leur billet de retour (et le poids de leurs bagages) jusqu’à Casablanca, et qui ne faisaient que traverser la France ou qui avaient décidé de quitter la France. Bien que ces gens partent, ils sont interpellés, placés en rétention, font l’objet d’un arrêté de reconduite et sont renvoyés aux frais de l’Etat. Et rentrent dans les chiffres statistiques de reconduite...

Vous l’avez constaté cet été à Hendaye ?

Actuellement on ne peut pas le constater puisque le centre de rétention d’Hendaye est fermé. Les gens interpellés font tous l’objet de transferts vers les centres de Toulouse et Bordeaux. Mais il n’y a pas de raison pour que cela ait changé depuis l’année dernière. Ce que l’on voyait en majorité dans le centre de rétention d’Hendaye c’étaient des gens qui passaient la frontière. Et peu de gens qui avaient une situation stable ici. Ces derniers représentant 20% des placés en rétention. Les autres 80% étaient des gens qui ne comptaient pas séjourner dans le territoire.

Ramenée au niveau départemental l’injonction ministérielle représente 550 reconduites pour 2007...

Il faudrait d’abord savoir ce que l’on entend par reconduites à la frontière. Si le ministre comptabilise les arrêtés pris par les préfets on peut effectivement dire qu’il y a 25000 reconduites. Mais il faut savoir qu’entre le moment où l’arrêté est pris et le moment de son exécution il peut y avoir des événements qui ne dépendent pas du préfet, notamment des remises en liberté prononcées par le Juge de la détention et des libertés (JLD) ou des annulations des arrêtés par le tribunal administratif. Ils prennent des arrêtés à tour de bras, ils arrêtent les gens qui passent parce que ça permet de faire gonfler les chiffres des reconduites.

Une inquiétude s’est-elle manifestée parmi les personnes sans-papiers qui résident depuis longtemps au Pays Basque

Pour le moment les gens ne nous ont pas contactés, parce qu’ils sont dans une situation d’attentisme. Ils essaient de se faire le plus discret, le plus petit possible. Mais à partir du moment où ils n’auront pas atteint leur quota, il va bien falloir qu’ils aillent chercher ailleurs ce qu’ils ne trouvent pas sur l’interpellation habituelle en frontière. Et il y a des gens ici, comme partout en France, que la préfecture connaît, dont elle a l’adresse parce qu’ils ont soit fait une demande de titre de séjour, qui leur a été refusée, soit qu’ils font l’objet d’un arrêté de reconduite qui n’a pas été exécuté pour X raisons. Ces gens-là sont aujourd’hui sur la sellette. On ira les chercher quand les chiffres ne seront pas atteints, comme on racle les fonds de tiroir. Inquiétude il y a, en particulier pour cette période d’été où les gens sont en congés, où la mobilisation est plus difficile à obtenir,...

L’avertissement lancé par diverses associations hexagonales d’un été qui verrait le nombre d’expulsions augmenter, en particulier celui des enfants de sans-papiers scolarisés, s’est-il réalisé au Pays Basque ?

Localement il n’y a pas eu de cas avéré. Parce qu’ici, il y a peu de familles donc moins de risques. Il y a quelques situations mais on ne peut pas dire que l’on soit concerné par la circulaire Sarkozy relative aux enfants scolarisés. Mais nous avons des situations de gens qui vivent en couple avec des Français et des Françaises, des mères célibataires,... Pour nous, l’été qui risque de devenir délicat c’est maintenant qu’il commence.

Il y a quelques dossiers en cours qui ont fait l’objet d’un déplacement en sous-préfecture parce que les demandes de régularisation n’avaient pas été acceptées. Réponse du berger à la bergère, quelques jours après, des courriers recommandés sont partis avec des invitations à quitter le territoire, et dont les recours sont pendants.

Combien de familles concernées ?

C’est difficile à dire car la Cimade n’est pas saisie de tous les cas, et il y a divers avocats qui s’en chargent. En ce qui me concerne je connais trois familles qui ont fait l’objet de recommandés.

Vous l’évoquiez précédemment, avec le centre de rétention d’Hendaye fermé, comment travaillez-vous ?

Le centre de rétention d’Hendaye est fermé depuis le 1er janvier 2007. Nous n’avons pas la date exacte de réouverture, mais paraît-il que c’est prévu pour le printemps 2008. Il sera doublé, avec 30 places. Pour le moment, les sans-papiers sont interpellés et placés en garde à vue à Hendaye. Puis l’arrêté de reconduite est pris par le préfet, et la personne est transférée au centre de rétention, soit de Bordeaux, soit, surtout, celui de Toulouse qui a une grosse capacité d’accueil.

Cela doit faciliter votre travail...

En fait on travaille en liaison avec les salariés Cimade qui sont au centre de rétention de Toulouse et de Bordeaux. Il y a aussi les avocats de ces villes avec lesquels on travaille en relais.

La question de l’immigration occupe une place importante dans le débat politique depuis ces dernières années, en particulier lors des dernières élections. Comment l’analysez-vous ?

Mon opinion personnelle n’est pas forcément celle de la majorité des Français en ce moment. Pour moi l’immigration ce n’est pas un problème, c’est une solution sur du long terme. Le souci est que tenir ce genre de propos aujourd’hui, c’est être considérée comme droit-de-l’hommiste, avec tout ce qu’il y a de péjoratif dans le terme, ou de grande naïve, puisque l’on nous oppose une volonté d’empêcher le flux des arrivées des migrants.

Pendant la campagne électorale, autant cela a été brandi pour faire peur aux gens, autant cela n’a pas été abordé au fond. Ni M. Sarkozy, ni Mme Royal n’ont fait l’effort de débattre sur le sujet. Il faudrait poser au contraire la question de savoir si aujourd’hui la France supporte une immigration massive ou pas. Je ne le pense pas.

On parle de codéveloppement jusque dans les intitulés ministériels...

On dit que l’on renvoie les gens mais que l’on va s’assurer qu’ils puissent vivre chez eux par le biais du codéveloppement. C’est une vaste escroquerie du politique. Derrière le mot de codéveloppement il n’y a rien. Et tant que l’on ne permettra pas aux gens de vivre chez eux de façon décente (accès au soin, à la nourriture, à l’eau,...), il est certain que l’on sera confronté à cette arrivée de gens.

Je me rappelle quand Nicolas Sarkozy était parti au Mali pour faire le point avec le ministre des affaires étrangères malien. Car les Maliens sans-papiers en France lorsqu’ils sont interpellés, ils ne sont pas reconnus par leur ambassade, et ne peuvent donc être renvoyés. Sarkozy avait dit ça suffit, vous allez dire à vos consulats de reconnaître vos nationaux sinon on vous coupe les vivres. Il lui avait été répondu que vos vivres à vous sont trois fois moins importants que ce que nos Maliens renvoient à leurs familles dans leur pays... Pour la petite histoire, on avait un peu augmenté l’enveloppe et quelques Maliens avaient été reconnus par l’ambassade.

Et le rapprochement fait entre immigration et insécurité ?

On fait un amalgame entre immigration et délinquance. Or ce sont deux choses différentes. Parmi les gens qui sont en situation irrégulière, en dehors du fait que c’est un délit d’être sans papiers, il y a peu de délinquants. Ce ne sont pas des gens qui volent, qui agressent, qui trafiquent,... de par la fragilité de leur situation ils n’ont aucun intérêt à se faire contrôler, à se faire arrêter. Ce sont des gens qui travaillent, et qui ne coûtent rien à la France, car rappelons-le, comme ils sont sans papiers ils n’ont pas droit au RMI, ils n’ont pas droit aux allocations familiales, aux APL,... En revanche, on peut être sans papiers et avoir un travail, et même payer des impôts,...

Quelle est la proportion des détenus à la prison de Bayonne pour séjour irrégulier ?

Il y en a. Je n’ai pas les chiffres exacts. C’est de l’ordre de 10 à 15%. Il y en a davantage depuis que le centre de rétention d’Hendaye a fermé. Auparavant, 90% des dossiers (c’est un délit d’être sans papiers) étaient traités par la voie administrative, c’est-à-dire que le procureur ne poursuit pas, on place en rétention et on reconduit. Ils ne poursuivaient en comparution immédiate que ceux qui, en plus d’être sans-papiers, avaient un casier judiciaire (pour les mêmes faits) ou de faux documents (visa, passeport,...), ou les passeurs. Aujourd’hui, il y a encore majoritairement des placements en rétention, mais le tribunal a vu plus de comparutions immédiates pour le simple "entrée et séjour irrégulier", avec le risque pour le prévenu d’interdiction définitive du territoire qui peut être prononcé par le tribunal correctionnel.

Où en est la revendication régularisation des sans-papiers, soutenue par la Cimade ? C’est passé de mode, sous silence ?...

Notre position est toujours la même. Mais il est vrai qu’aujourd’hui cela ne fait pas écho. Et que l’on a une position du gouvernement qui est plutôt à l’opposé de ce que l’on souhaite. A titre d’exemple, les sans-papiers de Lille qui étaient en grève de la faim, pour certains depuis plus de 54 jours, qui ont fait l’objet d’interpellations. Pour casser le mouvement, le préfet, après 63 jours, dit "grève de la faim = expulsion". Actuellement on assiste à un durcissement de la position de l’Etat.

En revanche, autant le gouvernement est fermé à nos positions, autant on peut considérer qu’il y a une forme de résistance de la part de certaines juridictions, car on ne peut pas faire tout et n’importe quoi au nom d’une politique. Le 1er août, on a obtenu par le JLD de Limoges, c’est une première, la condamnation d’un préfet à une amende civile de 1500 euros pour procédure abusive. Il y a des magistrats qui sont attentifs aux dossiers, et qui estiment que même si les préfectures sont en droit d’exécuter une politique du gouvernement, encore faut-il le faire dans des conditions justes et équitables.

Par exemple ?

Il y a eu des interpellations en groupe à Lille début août. Une soixantaine de personnes ont été arrêtées, et il y en a eu pratiquement 55 remises en liberté par le JLD pour vice de procédure sur les conditions d’interpellations qui ne respectaient pas la loi. De même au tribunal de Bayonne, nous avons obtenu que 25% des cas soumis au JLD se traduisent par une remise en liberté. Heureusement il y a encore un contre-pouvoir judiciaire.

Un dernier mot?

On peut regarder cela avec un regard nombriliste en France, mais je crois qu’il faut rappeler quand même que, si on parle de "sans-papiers" de "clandestins", on oublie de parler des Hommes, des Femmes; ce sont des êtres humains. Et on oublie les morts. Les chiffres sont inquiétants. En juillet, rien que sur ce mois il y a eu 217 hommes, femmes et enfants qui sont décédés en mer entre le Maroc, Lampedusa en Italie et les îles Canaries. Derrière les termes de "clandestin", "sans-papiers", on ne visualise pas qu’il y a des histoires personnelles d’individus qui font le choix d’émigrer pour des raisons qui se justifient.


 
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