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Le JPB > Pays Basque 2008-01-30
Philippe CORCUFF / Politologue et sociologue
« Faire de l’individualisme un ennemi à combattre, c’est se tromper »

Philippe Corcuff, maître de conférences de science politique à l’Institut d’Études Politiques de Lyon, cofondateur de l’Université Populaire de Lyon, membre de la LCR, de SUD-éducation, et du Conseil scientifique d’ATTAC anime demain soir à 20h30 une conférence publique à la Fondation Robles Arangiz (30, rue des Cordeliers, Bayonne) sur "L’individu : un des défis majeurs des gauches radicales et altermondialistes". Il y assurera également samedi une formation tout au long de la journée qui affiche d’ores et déjà complet.

L’individualisme n’est-il pas historiquement une valeur de droite vivement critiquée par la gauche ?

La gauche républicaine qui émerge au XVIIIe siècle en France est profondément travaillée par les valeurs individualistes des Lumières. Elle se confronte au long processus d’individualisation des sociétés occidentales, amorcé selon le sociologue Norbert Elias à la Renaissance et conduisant selon lui à un renversement de "l’équilibre je/nous" au profit du "je".

Quant à la gauche socialiste qui naît en France au début du XIXe siècle, dans le sillage critique de la gauche républicaine, elle hérite de ces valeurs individualistes, tout en se confrontant prioritairement à la question sociale qui prend de l’ampleur avec l’industrialisation et l’urbanisation capitalistes. Chez les théoriciens socialistes du XIXe siècle (Proudhon, Bakounine, Marx, etc.), les deux questions (question individualiste et question sociale) sont souvent alors présentes, davantage juxtaposées d’ailleurs que nettement articulées. Ce double questionnement sera encore actif au début du XXe siècle quand le mouvement syndical et le mouvement socialiste commenceront à se consolider. Le syndicalisme libertaire de la CGT d’avant 1914 n’oppose pas solidarité collective et individualités, notamment parce qu’il s’appuie sur des compétences professionnelles fortement individualisées propres à des métiers semi-artisanaux (cordonniers, boulangers, imprimeurs, etc.). Quant au mouvement socialiste, Jaurès associe collectivisme et individualisme, en affirmant par exemple que, sur la base de la propriété sociale des moyens de production, "le socialisme est l’affirmation suprême du droit individuel".

Mais peu à peu une lecture collectiviste de Marx et des marxismes va tendre à prendre le dessus, aussi bien dans la branche socialiste que communiste. Une sorte de "logiciel" va progressivement s’imposer qui oblitérera la question individualiste au profit du traitement exclusif de la question sociale, à travers la contradiction capital/travail, en dehors de quelques courants minoritaires (notamment libertaires).

Ce logiciel collectiviste est-il à jeter aux orties?

Aujourd’hui, cette tendance collectiviste peut être reconduite, dans les mouvements sociaux, dans le combat contre la figure néolibérale du capitalisme. Comme le néolibéralisme utilise abondamment le thème de l’individu contre les solidarités collectives et les acquis de l’État social (individualisation des salaires, flexibilité, mobilité, etc.), certains peuvent être tentés de mettre un signe d’égalité entre individualisme et néolibéralisme, et de faire alors de l’individualisme un ennemi à combattre. A mon avis, c’est se tromper à plusieurs titres. Premièrement, c’est se tromper sur l’analyse du phénomène complexe de l’individualisme contemporain. Ce dernier n’est pas le produit exclusif de l’individualisme marchand, mais aussi d’autres logiques individualisatrices qui ne sont pas réductibles à l’ordre capitaliste : logique politique de l’individualisme démocratique, dynamique juridique des droits individuels ou logiques sociétales associées aux transformations de la famille patriarcale et de l’intimité de chacun. Une telle vue pluraliste de l’individualisme conduit à éviter les diagnostics simplistes : l’individualisme ne doit pas être réduit à un produit du néolibéralisme. Le néolibéralisme peut même être critiqué au nom d’une certaine conception de l’individualité, une individualité non marchande. Cette critique individualiste du néolibéralisme peut d’ailleurs trouver des ressources chez Marx. Et c’est là qu’on touche à une deuxième erreur stratégique, cette fois de ceux qui défendent l’équation "individualisme=néolibéralisme": ils laissent le monopole de l’individu au néolibéralisme, et dans des sociétés fortement individualisées ils se tirent alors une balle dans le piedŠ

Le mouvement altermondialiste également?

Tout le monde dans la galaxie altermondialiste ne tombe pas dans ce piège et des tentatives de reformulation sont en cours. Ainsi le conseil scientifique d’Attac a créé, début 2005, un groupe de travail sur "l’individualisme contemporain", auquel je participe. Par ailleurs, la version provisoire du Manifeste de la LCR contient un passage novateur sur "l’émancipation des individus". Il y a là un combat classique entre l’inertie des anciennes façons de penser et des reproblématisations à la lumière de l’expérience et des déplacements de la réalité.

Un individualisme plus développé chez les jeunes ?

Chez les jeunes générations, davantage individualisées, comme plus largement dans les mouvements sociaux, l’individualisation a au moins deux effets : 1) un effet de décomposition, et 2) un effet de recomposition. D’une part, la plus grande individualisation participe à un plus grand retrait de l’espace public et de l’engagement collectif ; ce qui est renforcé par le fonctionnement routinisé, bureaucratisé, hiérarchisé, anonymisé, infantilisant, de nombre d’organisations traditionnelles, qui peuvent apparaître comme des carcans pour les individus. Mais, d’autre part, cela nourrit aussi l’émergence de nouvelles formes d’action collective plus soucieuses de l’individualité de chacun, plus méfiantes à l’égard de la délégation de pouvoir, moins permanentes et plus ponctuelles.

L’individualisme actuel peut également mener à des impasses?

Comme on se doit d’avoir une vue pluraliste des logiques individualisatrices, on se doit d’être attentifs aux ambivalences de cet individualisme, à la diversité de ses effets, positifs et négatifs. Car en général, et pas seulement dans ses effets sur l’action collective, l’individualisme contemporain révèle une double face : des aspects déstabilisateurs pour les sociétés (affaiblissement du lien social et des repères collectifs) comme pour les individus (émergence de nouvelles pathologies narcissiques, dans la tyrannie de sa propre image, notamment), mais aussi des acquis émancipateurs (droits individuels et citoyenneté, élargissement des marges d’autonomie des individus dans la vie quotidienne, développement d’une intimité personnelle, etc.), en relation étroite avec la libération des cadres traditionnels de la famille patriarcale (mouvement de libération des femmes, nouveaux droits des enfants ou amorce de reconnaissance des modes de vie homosexuels).

Face à ces ambivalences individualistes, le récent mouvement anti-CPE, par exemple, a ouvert des potentialités nouvelles quant à une articulation entre solidarité collective et aspirations individualistes, en associant stabilité du statut salarial et possibilité pour chacun de mener ses projets individuels dans un horizon temporel stabilisé (dans le rapport au travail, au logement, aux prêts bancaires, etc.).


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